On ne connaît presque rien de la vie et de l'œuvre de Timon de Phlionte, poète et philosophe sceptique du IIIe siècle av. J.-C. Le portrait qu'en avait brossé son contemporain, Antigone de Caryste, dans ses 'Bioi' ne nous est pas parvenu; mais on conserve encore sa brève biographie compilée par Diogène Laërce (IIIe siècle ap. J.-C.). Timon avait écrit un livre en prose intitulé 'Python', des poèmes épiques, des tragédies, des drames satyriques, les 'Silles' et les 'Indalmoi'. Il ne reste que quelques remarques sur le 'Python'; 4 passages du poème en distiques élégiaques intitulé 'Indalmoi'; 65 fragments pour un total de 133 hexamètres des 'Silles'.
Le premier recueil moderne des fragments de Timon remonte à C. Wachsmuth (1885); quelques années plus tard, ils ont été réédités par H. Diels (1901) et, plus récemment, par Lloyd-Jones et Parsons (1983). M. Di Marco a enfin publié (1989) une nouvelle édition des 'Silles' accompagnée d'une traduction italienne et d'un important commentaire. A. A. Long ('Timon of Phlius: Pyrrhonist and Satirist' PCPS 204, 1983, 68-91) a donné un aperçu fort intéressant de la philosophie de Timon, qui à travers ses écrits avait contribué à la connaissance dans le monde hellénistique de l'ancien scepticisme et de son fondateur Pyrrhon d'Élis.
Dee L. Clayman présente une étude globale, attentive et bien renseignée de l'ensemble des restes de Timon, fondée sur une analyse détaillée des multiples facettes de son œuvre. Clayman ne se limite pas aux enjeux philosophiques de la production de Timon, mais elle s'arrête aussi sur les aspects littéraires et esthétiques et essaye de retracer la réception des textes de Timon dans le contexte culturel de son époque.
Le livre se décline en six chapitres, précédés d'une introduction et suivis d'une conclusion. Une bibliographie ('Editions, Commentaries and Collections of Ancient Textes; Secondary Literature', 218-243) ainsi que deux index ('Index locorum' et 'General index', 245-261) s'avèrent d'une grande utilité (voir aussi les Abréviations, VII-VIII).
L'introduction (1-5) donne un aperçu de la chronologie et de l'activité littéraire contemporaine de Timon et expose brièvement le contenu du volume.
Le chapitre 1 ('The Lives of Timon and Pyrrho', 6-46) présente la tradition biographique de Timon et de Pyrrhon en tenant compte des sources anciennes (en particulier, les 'Vies' de Diogène Laërce, 9.61-116, et deux passages du péripatéticien Aristoclès de Messine, cités par Eusèbe de Césarée dans la 'Préparation évangélique', 14.18.14-15 et 14.18.2-4) et des recherches modernes.
Le chapitre 2 ('Timo on Pyrrho: The Pytho and the Indalmoi', 47-74) est consacré à la reconstruction du 'Python' et des 'Indalmoi'. Timon décrivait dans le 'Python' sa rencontre avec Pyrrhon en l'occasion d'un voyage à Delphes. Le contenu de cet écrit nous est connu seulement par le témoignage tendancieux d'Aristoclès, source qu'il faut utiliser avec beaucoup de prudence. Les 'Indalmoi' ou 'Images' étaient un poème en distiques élégiaques, dont le modèle littéraire pourrait être, selon une suggestion de Clayman (74), la 'Lydé' d'Antimaque de Colophon (poète et érudit du IVe siècle av. J.-C.).
Les 'Silles' font l'objet des chapitres 3 et 4 ('Timon's Silloi: Organisation and Principle Fragments', 75-116 et 'The Silloi in its Literary Context', 117-144). Les 'Silles' étaient un poème satyrique sous forme de parodie en trois livres dont on ne conserve que 133 hexamètres, qui selon l'hypothèse de Clayman représenterait "about 13 per cent of the original." (76) En dépit de l'exiguïté du texte qui nous est parvenu, Clayman n'hésite pas à tenter une reconstruction du contenu et de la structure des trois livres des 'Silles' en se fondant sur le résumé qu'on lit chez Diogène Laërce (9.111-112) et sur une analyse des fragments. L'action des deux premiers livres se déroulait dans l'Hadès; à partir du troisième, la scène serait à Athènes. Le premier livre était un monologue de Timon qui commençait avec une invocation aux philosophes qui faisaient l'objet de ses critiques et qui étaient présentés sous forme d'un catalogue. Dans le second et le troisième livres, Timon adoptait la forme dialoguée et il se représentait comme interrogeant Xénophane de Colophon au sujet de chacun des philosophes qu'ils allaient rencontrer. Le second livre présentait les philosophes les plus anciens, le troisième les plus récents. A l'intérieur de ces livres, Clayman identifie plusieurs scènes: à celles déjà découvertes par les éditeurs précédents - 'La bataille des philosophes' et 'La pêche des philosophes' - elle (101-107) en ajoute une troisième, 'Le marché des idées'.
Une tentative de placer les 'Silles' dans le contexte de la littérature et de la philosophie grecques suit (chap. 4). Clayman étudie les 'Silles' en tant qu'exemple du genre de la 'parodie', leurs rapports avec la comédie, les caractéristiques de la langue, le lien entre Timon et la littérature cynique (en particulier les fragments de Cratès de Thèbes), les philosophes tels que représentés dans les 'Silles' et la contribution de ce texte à l'histoire de la philosophie grecque.
Le chapitre 5 est consacré à la réception de Timon dans la littérature hellénistique ('Timon's Reception in Hellenistic Literature', 145-173), en particulier, dans les œuvres de Callimaque et d'Apollonius de Rhodes.
Dans le chapitre 6, enfin, Clayman part à la recherche de traces du scepticisme chez les poètes hellénistiques ('Skepticism in Hellenistic Literature', 174-208). Clayman examine plusieurs cas d'influence que le scepticisme aurait eu sur l'Hymne à Délos' de Callimaque, les 'Idylles' 1 et 7 de Théocrite, les 'Argonautiques' d'Apollonius de Rhodes.
Le livre s'achève par quelques pages dans lesquelles Clayman aborde l'esthétique sceptique ('Conclusion - An Aesthetics of Skepticism', 209-217).
Pour travailler sur un poète comme Timon dont des vers sont souvent assez mal conservés et présentent encore plusieurs difficultés dans l'établissement du texte, un peu plus de rigueur 'philologique' aurait été souhaitable.
Clayman prend comme base de sa reconstruction le 'Supplementum Hellenisticum' de Lloyd-Jones et Parsons. Je crois qu'il aurait cependant fallu porter plus d'attention non seulement à l'édition de Di Marco, mais aussi à la littérature critique plus récente. Par exemple, le compte rendu de Livrea au 'Supplementum Hellenisticum' (Gnomon 57, 1985, 592-601, repris dans ses 'Studia Hellenistica' I, Firenze 1991, 289-303) et les pages de W. Lapini ('Studi di filologia filosofica', Firenze 2003, 13-33) sur l'épigramme 54 G.-P. de Callimaque (152-153). Je signale, enfin, un fragment (797 SH = 23 D) dont le texte a été considérablement amélioré par V. Garulli et E. Magnelli, Eikasmos 15 (2004), 261-271 et 16 (2005), 145-147.
La tentative de Clayman (143) de restitution du début du fr. 807 SH = 33 D. ne m'a pas convaincu. A propos du fr. 803 SH = 29 D, je ne comprends pas le sens des crochets droits qui entourent le mot 'ogkon' (102). La correction 'philopoiêtês' (12 n. 19) avait été déjà proposée par Wachsmuth.
Malgré ces remarques, la recherche de Clayman marque sans aucun doute un pas en avant considérable dans la compréhension et l'interprétation de Timon.
Dee L. Clayman: Timon of Phlius. Pyrrhonism into Poetry (= Bd. 98), Berlin: De Gruyter 2009, X + 261 S., ISBN 978-3-11-022080-3, EUR 109,95
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