sehepunkte 25 (2025), Nr. 6

Ann W. Astell: The Saint's Life and the Senses of Scripture

Le bel ouvrage d'Ann W. Astell, professeur de théologie à l'Université Notre-Dame (Indiana), est l'aboutissement de quinze ans de recherches. En dix chapitres, l'auteure montre comment, du Moyen-Âge à l'époque moderne, l'hagiographie a peu à peu été concurrencée par le genre biographique. Deux moments forts sont identifiés. Du IVe au XVe siècle, l'hagiographie est une forme narrative d'exégèse de la Bible. Les saints sont perçus comme des allégories du Christ. Au XVIe siècle, dans le contexte de la montée du protestantisme, la relation entre hagiographie et Écritures s'étiole: les débats concernant la vérité historique de la sainteté l'emportent. Cette exigence de véracité s'exprime également au siècle suivant avec les Bollandistes.

La "biographie sacrée", marquée par l'omniprésence des renvois bibliques, est une caractéristique essentielle de l'hagiographie médiévale. Elle se perçoit dès la Vie de l'ermite anglo-saxon saint Guthlac de Croyland rédigée vers 730 par le moine Félix. La Vita sancti Guthlaci (BHL 3723) commente longuement les Psaumes. Le saint se sert du texte sacré pour prier, prêcher et lutter contre les démons et les tentations (Chapitre 1). La Vie de saint Ninian (missionnaire chez les Pictes à la fin du IVe siècle), attribuée au moine cistercien Aelred de Rievaulx (1110-1167), révèle une double intertextualité : le récit de miracles contenu dans la Vita sancti Niniani (BHL 6239) est une exégèse du récit biblique de la Création ; il s'inspire aussi du commentaire de la Genèse dans les Confessions de saint Augustin, un auteur de prédilection pour Aelred (Chapitre 2). Consacrée à saint Malachie, archevêque d'Armagh (1094-1148), la Vita sancti Malachiae (BHL 5188) de Bernard de Clairvaux cite beaucoup le Cantique des Cantiques (Ancien Testament). Cela amène l'hagiographe à présenter la relation entre le saint irlandais et son diocèse à l'image de l'amour unissant le Christ et l'Église (Chapitre 3). L'inspiration biblique est tout aussi prégnante dans la Vita sancti Anselmi (BHL 525) et l'Historia novorum in Anglia composées vers 1090-1115 par Eadmer de Canterbury. La rédaction par le moine anglais de deux œuvres distinctes et unies par un même but (établir la sainteté d'Anselme en relatant précisément ses vertus mais aussi sa carrière ecclésiastique), serait un "dualisme biographique" (84) ou une première séparation entre l'hagiographie et l'écriture historique (Chapitre 4).

Cette dissociation s'accentue aux XIIIe et XIVe siècles avec la juridicisation croissante des procès de canonisation. La Vita prima de Thomas de Celano (BHL 3096) et la Legenda maior de Bonaventure (BHL 3107), respectivement datées de 1229 et du début des années 1260, entendent défendre la sainteté de François d'Assise alors âprement débattue (Chapitre 5). Peu fournie en références bibliques et bien que fortement influencée par le modèle de Marie-Madeleine dans la Légende dorée de Jacques de Voragine, la Vie de sainte Catherine de Sienne par Raymond de Capoue (BHL 1702) veut démontrer par des preuves historiques que la religieuse est bel et bien sainte (controversée, cette figure mystique n'est canonisée qu'en 1461). Pour ce faire, elle s'étend moins sur les miracles attribués à Catherine que sur ses vertus de patience et d'humilité (Chapitres 6 et 7).

Le divorce entre hagiographie et biographie ("the end of hagiography in biography", 235) est consommé avec Didier Érasme. Entre 1510 et 1516, ce dernier édite les Lettres de saint Jérôme d'un point de vue philologique ainsi qu'une Vie strictement factuelle de ce saint. La Vie de Thomas More, rédigée vers 1556 par Nicholas Harpsfield, est elle aussi une biographie documentaire : elle se fonde d'abord sur les écrits de l'humaniste anglais. Mais elle témoigne encore d'un attachement à l'hagiographie notamment parce qu'elle décrit More comme un martyr (Chapitre 8). L'exégèse biblique continue à imprégner des œuvres des XIXe et XXe siècles : Le Chant de Bernadette (1941) de Franz Werfel, écrit quelques années après la canonisation de Bernadette Soubirous, reprend des thèmes moraux tirés des Écritures pour mieux valoriser la spiritualité ardente de son égérie ; Crime et Châtiment (1866) et Les Frères Karamazov (1880), de Fiodor Dostoïevski, ainsi que La Mort et l'Archevêque (1927) de Willa Cather seraient à leur tour des réminiscences de l'hagiographie (Chapitre 9). Reprenant le concept d'"éclipse de la narration biblique" forgé par le théologien américain Hans Frei (1922-1988), l'auteure observe enfin à l'heure actuelle un dédain généralisé pour les biographies sacrées. Elle cite surtout les travaux du dominicain Augustine Thompson consacrés à François d'Assise et qualifiés de "biographies anti-hagiographiques" (255). Cependant, l'auteure plaide en faveur d'une intertextualité raisonnée. Elle appelle de ses vœux une hagiographie renouvelée qui prendrait en considération à la fois l'exégèse des Écritures et la méthode historico-critique (Chapitre 10).

Le livre d'Ann W. Astell apporte de précieuses mises au point sur l'histoire de la sainteté. Le choix d'une chronologie large (sur plus de mille ans) est d'autant plus justifié qu'il est prisé dans les récentes études hagiographiques. La collection "Hagiographies. Histoire internationale de la littérature hagiographique latine et vernaculaire en Occident des origines à 1550", dirigée par Guy Philippart et Monique Goullet, le montre bien. Un autre point fort de l'ouvrage est l'exploration des liens intertextuels unissant la Bible et l'hagiographie. À première vue, l'hétérogénéité du matériau documentaire pourrait donner une impression de dispersion. Mais ces sources sont présentées selon un axe chronologique qui constitue un repère salutaire. De plus, l'auteure a privilégié des textes qu'elle estime peu ou partiellement exploités.

La structure de l'ouvrage suscite quelques interrogations. Les différents chapitres font l'objet d'un premier résumé à la fin de l'introduction (10-13). Néanmoins, l'absence de conclusion bien visible est regrettable. Les résultats de l'enquête sont dilués dans le chapitre 10, ce qui ne facilite pas la compréhension générale du propos. On notera enfin la présence de neuf illustrations dont le degré de pertinence est variable. Par exemple, est visible une représentation de la Création par l'artiste contemporaine Mary J. Zore (49). Quitte à recourir à des sources iconographiques, pourquoi ne pas avoir privilégié des images davantage reliées à la matière historique de l'ouvrage ?

Rezension über:

Ann W. Astell: The Saint's Life and the Senses of Scripture. Hagiography as Exegesis, Notre Dame, IN: University of Notre Dame Press 2024, XVII + 381 S., 7 Farb-Abb., ISBN 978-0-268-20811-0, USD 70,00

Rezension von:
Paul Chaffenet
Institut de recherche et d'histoire des textes (IRHT), Paris
Empfohlene Zitierweise:
Paul Chaffenet: Rezension von: Ann W. Astell: The Saint's Life and the Senses of Scripture. Hagiography as Exegesis, Notre Dame, IN: University of Notre Dame Press 2024, in: sehepunkte 25 (2025), Nr. 6 [15.06.2025], URL: https://www.sehepunkte.de/2025/06/39714.html


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