sehepunkte 25 (2025), Nr. 10

Jonas Narchi (Hg.): Anselm von Havelberg, Epistola apologetica

En 2024, Jonas Narchi, postdoctorant à l'Université de Genève et spécialiste en philosophie et théologie du Moyen Âge central, publie chez Schnell & Steiner une édition critique de l'Epistola apologetica d'Anselme (v.1099-1158), un prélat originaire de Lorraine, émissaire des empereurs Lothaire III, Conrad III et Frédéric Ier, qui devient évêque d'Havelberg (Saxe-Anhalt actuelle) en 1129 puis archevêque de Ravenne en 1155. Rédigé vers 1145/46, ce texte est une longue lettre polémique adressée à Ekbert, abbé du monastère bénédictin de Huysburg (1134/1135-1154), dans laquelle Anselme défend avec vigueur la dignité et la légitimité de la vie canoniale face aux prétentions de supériorité du monachisme bénédictin. Bien plus qu'une simple réponse circonstancielle, l'Epistola apologetica se présente comme une véritable Streitschrift, un manifeste pour une vie chrétienne en accord avec l'idéal apostolique.

À destination des chercheurs comme des lecteurs férus d'histoire intellectuelle et religieuse du XIIe siècle, le volume de 264 pages associe avec rigueur une édition latine soigneusement établie, une traduction allemande précise et lisible, ainsi qu'une ample introduction critique qui replace l'œuvre dans son contexte biographique, théologique et institutionnel. Ce travail s'inscrit dans la collection « Klöster als Innovationslabore », qui met en lumière le rôle des monastères et des communautés religieuses comme foyers d'innovation spirituelle, culturelle et sociale. Dans ce cadre, l'Epistola apologetica se révèle un témoignage exemplaire : née d'un conflit local autour du passage d'un chanoine à la vie monastique, elle ouvre une réflexion plus large sur la hiérarchie des états de vie et sur la définition du véritable mode de vie chrétien.

Véritable modèle du genre, cette édition repose sur la collation des huit manuscrits connus et notamment conservés à Londres, Paris, Berlin, Munich, Magdebourg et Wolfenbüttel. L'apparat critique note systématiquement les variantes et permet de suivre l'histoire de la transmission du texte. La traduction allemande rend le texte accessible à un public élargi : fidèle et sans lourdeur, elle restitue la densité argumentative d'Anselme, marqué par le style scolastique de la disputatio et par l'usage constant des auctoritates bibliques et patristiques. Les notes éclairent les passages difficiles, les termes intraduisibles ou les choix lexicaux, et renvoient aux parallèles dans d'autres textes.

L'ensemble est complété par des annexes particulièrement précieuses, notamment l'édition et la traduction de deux lettres de l'abbé Ekbert de Huysburg, interlocuteur et adversaire d'Anselme, qui permettent de mieux comprendre l'ensemble du dossier. Des reproductions de manuscrits et l'illustration du frontispice de la Bible de Hamersleben viennent renforcer la valeur documentaire du volume. Enfin, des index détaillés recensent les références bibliques, les auteurs cités, les personnes et les lieux, tandis qu'une bibliographie riche clôt l'introduction.

Ce propos liminaire à l'ouvrage est d'une richesse particulière pour comprendre les enjeux posés par l'œuvre d'Anselme. Jonas Narchi y décrit d'abord les circonstances précises du conflit intellectuel qui a amené à sa production. Vers 1145 ou 1146, Pierre (Petrus) de Hamersleben, petit village situé dans l'évêché d'Halberstadt au Sud de celui d'Havelberg, décide de quitter son office de prévôt du chapitre collégial des chanoines réguliers de Saint-Pancrace, pour rejoindre l'abbaye voisine bénédictine de Huysburg et y prendre l'habit monastique. Ce passage, appelé transitus, soulève une vive controverse. Les chanoines réguliers, engagés dans la cura animarum et attachés à la vita activa, voient dans ce départ une trahison de leur vocation pastorale. Les moines de Huysburg, de leur côté, affirment la supériorité de la vie cloîtrée et contemplative, considérée comme une vita artior, c'est-à-dire une voie plus exigeante et plus méritoire. Cette opposition touche au cœur d'un débat ecclésiologique fondamental : quel est le véritable héritage apostolique, la vie tournée vers le monde et le service des fidèles ou le retrait absolu dans la prière et la contemplation ?

Dans ses lettres, l'abbé Ekbert de Huysburg défend avec vigueur le choix monastique de Pierre. Inspiré par la prédication itinérante de Norbert de Xanten (1080-1134) et le projet de vie des Prémontrés, Anselme répond dans son Epistola apologetica par une argumentation serrée et combative. Sa lettre n'est pas seulement une défense ponctuelle mais une véritable écriture programmatique. Anselme y déploie une méthode qui rappelle les premières disputationes scolastiques : il expose d'abord les thèses adverses, souvent avec une pointe d'ironie, puis les réfute en s'appuyant sur les autorités de l'Écriture et des Pères de l'Église, avant de développer des arguments rationnels qu'il présente comme les fruits de la vérité sûre d'une raison inébranlable.

L'argument central touche à la prédication et à l'exercice des fonctions sacerdotales. Ekbert invoque des exemples de moines devenus prêtres, évêques ou papes, comme Grégoire le Grand, pour montrer la valeur du monachisme. Anselme retourne l'argument : si le monachisme était un état supérieur, ces hommes en seraient en réalité déchus en acceptant une fonction sacerdotale. Il rappelle en outre que la Bible ignore la figure du moine et ne connaît qu'une vita apostolica, que les chanoines prétendent incarner en conjuguant vie communautaire, service pastoral et prière. Même la célèbre péricope de Marthe et Marie, souvent invoquée pour valoriser la contemplation contre l'action, est réinterprétée par Anselme : le Christ, en qui contemplation et action se rejoignent, doit être le modèle de la vie canoniale. La querelle autour de Pierre ne reçut pas de conclusion claire et les sources divergent sur son issue. Il est possible que Pierre soit resté moine à Huysburg, mais la polémique qui éclate témoigne de la profondeur des tensions entre chanoines et moines dans l'Église du XIIe siècle.

L'Epistola apologetica est le fruit de ce climat et en reflète toutes les implications théologiques et sociales.

Rezension über:

Jonas Narchi (Hg.): Anselm von Havelberg, Epistola apologetica. Edition, Übersetzung, Kommentar (= Klöster als Innovationslabore; Bd. 13), Regensburg: Schnell & Steiner 2024, 264 S., ISBN 978-3-7954-3888-3, EUR 49,95

Rezension von:
Louis Genton
LaMOP, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Empfohlene Zitierweise:
Louis Genton: Rezension von: Jonas Narchi (Hg.): Anselm von Havelberg, Epistola apologetica. Edition, Übersetzung, Kommentar, Regensburg: Schnell & Steiner 2024, in: sehepunkte 25 (2025), Nr. 10 [15.10.2025], URL: https://www.sehepunkte.de/2025/10/39598.html


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