Sibylle Weber am Bach: Hans Baldung Grien (1484/85-1545). Marienbilder in der Reformation (= Studien zur christlichen Kunst; Bd. 6), Regensburg: Schnell & Steiner 2006, 232 S., 8 Tafeln, 72 Abb., ISBN 978-3-7954-1828-1, EUR 64,00
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Plusieurs madones de Hans Baldung Grien - cinq en tout cas - ont été peintes sous la Réforme et font partie des œuvres les plus remarquables de ce peintre. Sibylle Weber am Bach s'est donnée pour tâche de comprendre pourquoi et de situer ces œuvres dans le contexte religieux particulièrement complexe de la Réforme strasbourgeoise. La première partie de l'ouvrage est consacrée au destin du culte et de l'image de la Vierge dans les pays réformés. Comme on le sait, les luthériens ont continué à peindre et à exposer des madones parfaitement traditionnelles. Il est probable que la Vierge à l'Enfant de Lucas Cranach le Vieux vénérée en l'église Saint-Jacques d'Innsbruck sous le nom de Maria-Hilf soit identique à celle qui lui fut commandée en 1536 par le prince-électeur de Saxe, protecteur de Luther, pour le château de Torgau. Une Vierge du même type iconographique est représentée en 1526 dans un portrait du cardinal Albrecht de Brandebourg en saint Jérôme, toujours par Cranach. Luther lui-même fait allusion à la madone qu'il possédait dans l'un de ses Tischreden. Il ne saurait être question d'un culte marial chez les luthériens, mais ils semblent considérer les madones comme des images légitimes de l'Incarnation. L'auteur aurait pu se demander si son analyse était pertinente pour Strasbourg, dont la Réforme avait fortement subi l'influence de Zwingli qui n'appréciait certainement pas ce genre d'images. Mais la variété des sensibilités religieuses y était telle qu'on devait y trouver plus d'un amateur de madones. Rappelons seulement que plusieurs couvents survécurent au XVIe siècle et au-delà. En outre, les commanditaires des madones de Baldung ne sont pas connus et rien n'indique ni qu'ils aient résidé à Strasbourg, ni qu'ils aient été de bons réformés.
La seconde partie de l'ouvrage traite de la situation religieuse à Strasbourg et de ce qu'on peut deviner de la position personnelle de Baldung. L'auteur exclut avec raison la possibilité que le peintre soit resté fidèle à l'ancienne Eglise et s'accorde avec les recherches antérieures pour le situer dans le camp des "épicuriens", adversaires à la fois des tentatives théocratiques de Martin Bucer et du contrôle étatique des opinions et des mœurs. Il s'agit de personnages bien intégrés socialement qui, contrairement aux sectaires, n'ont aucunement l'intention de se marginaliser. Toujours selon l'auteur, cela n'explique pas l'iconographie de ses madones qui devaient dépendre bien plus des opinions du commanditaire que de celles du peintre, mais ce dernier point aurait dû être nuancé. Du fait de bons investissements immobiliers, Baldung ne semble plus avoir eu besoin de peindre pour vivre et la disparition des commandes ecclésiastiques qui a ruiné ses confrères ne semble pas l'avoir affecté. Il n'a plus d'atelier à partir de 1522 environ et l'originalité de son œuvre (encore plus sensible dans le domaine profane) fait supposer que ses commanditaires s'accommodent de son tempérament et même de son excentricité iconographique. En fait, les madones en question sont à la fois trop peu nombreuses et trop variées pour qu'il soit possible d'attribuer tel choix iconographique soit à Baldung, soit à l'un de ses commanditaires.
L'auteur a cherché une piste d'interprétation dans le rôle emblématique de protectrice de Strasbourg que la Vierge continuait jusqu'à un certain point à jouer sous la Réforme. Un projet de vitrail qu'on situe autour de 1530 est bien représentatif du problème (Karlsruhe, Kupferstichkabinett). Marie est assise sur un trône presque trop grand pour elle, les armes de la ville sous les pieds: il pourrait donc s'agir d'une commande publique. Vêtue comme une jeune strasbourgeoise de bonne famille et non comme une reine (hormis l'immense manteau de convention), elle présente une poire à l'enfant Jésus qui lui tire les cheveux. Il était donc légitime d'insister sur une ambiance familière, certes fréquente dans les madones médiévales, mais rompant avec la solennité de l'iconographie civique antérieure. En renonçant à la couronne et donc à la royauté, Marie peut rester la patronne de la ville désormais réformée.
Trois madones sont ensuite analysées en détail, la Vierge à la vigne (Strasbourg, Musée de l'Œuvre Notre-Dame), la Vierge aux perroquets (Nuremberg, Germanisches Nationalmuseum) et la Vierge antiquisante de Berlin (Staatliche Museen). Marie désigne son sein dans les deux premières, ce qui est interprété comme une insistance sur le rôle qu'elle a joué dans l'Incarnation, dirigée contre les anabaptistes qui le lui dénient. Le regard de Jésus, fixé sur le spectateur dans la Vierge aux perroquets confirmerait cette intention. Dans la Vierge à la vigne, le sommeil de l'Enfant et le geste de l'angelot qui le prend à la "hanche" pour le réveiller mettraient l'accent sur la Passion et la Résurrection dans une perspective christologique écartant toute mariolâtrie.
Sybille Weber am Bach semble ici surinterpréter quelque peu, en rattachant à un contexte dogmatique précis des habitudes iconographiques pluriséculaires. Dans la Vierge aux perroquets, le sein nu mis en évidence et l'Enfant qui regarde le spectateur comme s'il allait lui prendre sa mère constituent une mise en scène déjà présente dans la Vierge au bon lait d'Ambrogio Lorenzetti (Sienne, Musée archiépiscopal). Baldung lui-même souligne l'exhibition du sein féminin par des regards complices adressés au spectateur dans des œuvres profanes comme le couple d'âge inégal gravé sur cuivre en 1507 et l'Adam et Eve de la collection Thyssen. Cela relève d'un jeu sensuel, comme le regard oblique et aguichant de la Vierge, comme le perroquet qui semble vouloir lui pincer le cou de son bec. Dans le cas de la Vierge à la vigne, un détail ludique rend un peu désinvolte l'allusion possible à la Résurrection: en fait, l'ange ne prend pas Jésus à la hanche, mais à la fesse. Quant à l'allusion eucharistique que constituent les putti vendangeurs, elle est très décorative et on peut douter qu'elle soit dirigée contre quiconque, car, si l'eucharistie est au centre des débats fratricides de la Réforme, aucun chrétien n'a jamais nié qu'elle ait été instaurée par le Christ et qu'elle fasse allusion à sa Passion.
En revanche, l'interprétation de la Vierge de Berlin est totalement convaincante. Il s'agit bien d'une synthèse entre la figure de la madone et l'allégorie de la charité, dont on trouve d'autres exemples dans la période. En même temps, le costume à l'antique l'associe à Vénus et en fait une sorte de déesse commune aux différentes religions, supposées adorer les mêmes dieux sous des noms différents, de telle sorte qu'aucun historien de l'art ne l'a reconnue comme une Vierge à l'Enfant avant 1909! L'idée avait fait son chemin chez les humanistes et ce n'est probablement pas un hasard que Bucer, lors du synode de 1533, se soit plaint des épicuriens qui s'inspiraient de leur syncrétisme pour considérer les différentes religions comme équivalentes. En outre, l'auteur voit bien que ses collègues ont tantôt souligné le caractère traditionnel des madones de Baldung, tantôt leur érotisme. Ajoutons que les deux choses sont loin d'être contradictoires, l'érotisation de la madone étant justement un héritage médiéval. Ce qui est nouveau, c'est le décorum à l'antique qui oppose radicalement la madone de Berlin, mais aussi celle de Strasbourg, à des œuvres antérieures comme le projet de vitrail de Karlsruhe, et qui repose probablement sur l'idée d'une religion universelle. Il faut même se demander si le recours au thème antique des putti vendangeurs qui n'a rien de spécifiquement chrétien ne doit pas s'interpréter en ce sens.
La Madone aux pierres précieuses de Baldung (Germanisches Nationalmuseum), copiant librement une œuvre perdue de Jan Gossaert, n'a pas eu droit à une étude iconographique détaillée. Il est pourtant significatif que le peintre ait relayé en 1530 un tel modèle dans une ville réformée. Si les pierres précieuses réparties dans le coin inférieur gauche restent mystérieuses (elles évoquent peut-être simplement la Jérusalem céleste), le baiser et les gestes de tendresse font de Jésus et de sa mère, depuis le XIIe siècle, l'Epoux et l'Epouse du Cantique des cantiques. Ils sont le nouvel Adam et la nouvelle Eve, comme le confirme la pomme que tient l'Enfant. Or l'interprétation mariale du Cantique et l'identification de la Vierge à l'Eglise, épouse du Christ, seraient difficilement acceptables par un commanditaire réformé. En outre, Jésus piétine le livre que sa mère était en train de lire. La dépréciation du livre, opposée à la valorisation de la chair du Christ, possède une tradition médiévale (Jeffrey Hamburger: Body vs. Book: The Trope of Visibility in Images of Christian-Jewish Polemic, in: Ästhetik des Unsichtbaren. Bildtheorie und Bildgebrauch in der Vormoderne, éd. David Ganz et Thomas Lentes, Berlin, 2004, 112-145). Dans ces années-là, on peut se demander s'il ne s'agit pas de la part de Gossaert ou de ses commanditaires (le peintre a utilisé le motif au moins deux fois) d'une attaque contre le biblicisme des réformés. Ou bien le commanditaire de Baldung avait voulu cette iconographie en connaissance de cause, ou bien son indifférence au contenu religieux de l'œuvre était totale.
Sybille Weber am Bach surestime parfois le sérieux iconographique des œuvres, un travers très répandu. Mais son étude est bien informée, pose à peu près toutes les questions pertinentes à la compréhension d'un sujet difficile et donne plus d'une fois la bonne réponse. Surtout, elle porte enfin à une poignée d'œuvres étonnantes et splendides, mais très négligées, l'attention qu'elle mérite.
Jean Wirth