Christopher A. Faraone / F. S. Naiden (eds.): Greek and Roman Animal Sacrifice. Ancient Victims, Modern Observers, Cambridge: Cambridge University Press 2012, IX + 209 S., 32 s/w-Abb., ISBN 978-1-107-01112-0, GBP 55,00
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Ce livre collectif reprend un sujet qui a déjà fait couler beaucoup d'encre. Le sacrifice animal, dont il est principalement question, est en effet généralement considéré comme étant au centre des pratiques religieuses des Grecs et des Romains. Organisé autour de quatre axes principaux, à savoir l'historiographie moderne, la pratique sacrificielle, et les représentations du sacrifice, d'abord visuelles puis littéraires, cet ouvrage propose un point de vue novateur sur ces questions essentielles.
Les deux premiers articles, rédigés par Bruce Lincoln et Fritz Graf, traitent de l'historiographie moderne du sacrifice et exposent les circonstances qui ont contribué à placer ce sujet au centre de ces recherches. Du XVIIIe siècle à nos jours, en passant par les travaux de Burkert et de Vernant, l'histoire des influences exercées entre chercheurs est retracée à partir des contextes socio-culturels qui ont permis d'avancer les interprétations actuellement dominantes: l'angoisse et la culpabilité que procure la mort d'un animal, l'interchangeabilité entre animal sacrificiel et victime humaine, le sacrifice en tant que devoir civique ou la consommation égalitaire de la viande dans la cité contribuant à la formation d'un groupe social. Plus que le contexte socio-culturel, c'est le cadre idéologique qui a permis d'asseoir certaines idées. Ainsi les divisions binaires entre mythe et rite, ou science et superstition, sont examinées en même temps que les distinctions idéologiquement connotées entre monde aryen et monde sémitique. Les idées dominantes sont donc examinées depuis les circonstances qui ont permis leur apparition jusqu'à leur inévitable dépassement mais aussi leur éventuelle réactualisation. Par exemple, si l'approche éthologique de Burkert qui fait remonter les fondements de l'interprétation du sacrifice au Néolithique, a provoqué nombre d'objections, notamment de la part des archéologues, des arguments supplémentaires en faveur de cette filiation sont avancés par Graf.
La deuxième partie du livre rassemble deux articles qui traitent respectivement des pratiques sacrificielles des Grecs et des Romains. Afin de revenir sur l'interprétation basée sur un modèle communautaire, Fred S. Naiden examine la quantité de viande disponible suite à un sacrifice qui ne pouvait permettre, en réalité, qu'à un nombre restreint de commensaux de prendre part au banquet. Loin d'établir alors une relation égalitaire dans la cité, le banquet apparaît plutôt comme une occasion de différentiation des participants. Du côté romain, John Scheid remet également en question la communauté établie par la pratique du partage de la viande. Plus qu'un banquet, le sacrifice apparaît comme une offrande aux dieux, fut-elle modeste. Si l'immolation d'animaux et le partage de la viande établissent une hiérarchie sociale, celle-ci est également reflétée par les sacrifices végétaux. La libation établit en revanche la différence entre hommes et dieux. La quantité de la viande consommée montrerait en outre, selon Scheid, que l'on mangeait également de la viande provenant d'animaux non sacrifiés. La pratique d'offrir aux dieux les prémices aurait permis notamment de tuer un seul animal de façon rituelle et le reste du troupeau sans cérémonie.
Les articles au sujet des représentations visuelles remettent eux aussi en question certaines théories relevant de l'éthologie et des sciences sociales. À propos de la sculpture attique, Richard Neer remarque que le sacrifice n'occupe pas une position centrale pour les archéologues et les historiens de l'art. En outre, le traitement artistique déforme ce que nous voyons de l'acte rituel. Nous ne pouvons, par exemple, établir une distinction claire entre l'acte de l'offrande lui-même et sa commémoration. De façon plus générale donc, le sacrifice fait partie d'une série d'actions qui visent à la communication. Quant aux représentations de sacrifices dans l'art romain tardif, elles dépendent, d'après Jaś Elsner, de facteurs locaux et régionaux, et elles diminuent à partir du début du IIIe siècle de n.è. sans que cela signifie pour autant une diminution des pratiques personnelles.
La dernière partie de l'ouvrage concerne les représentations littéraires du sacrifice et démontre que les écarts entre les théories dominantes sont largement dues à l'utilisation de corpus de sources différents. James Redfield compare le traitement du sacrifice dans la comédie à celui qui s'observe dans le texte biblique, notamment dans le passage de la Genèse qui conclut l'alliance entre Dieu et les hommes. Dans l'ancienne comédie, les moments de la cérémonie mis en scène sont ceux de la cuisine et de la consommation et relèvent de la transgression plutôt que de la normativité. Dans la nouvelle comédie, en revanche, le sacrifice apparaît plutôt comme un mécanisme de réparation ou de récupération de l'ordre social.
Albert Henrichs s'attache au sacrifice dans la tragédie. C'est effectivement dans ce genre que l'idée du sacrifice comme tuerie, centrale dans la théorie de Burkert, trouve son fondement. Grâce à une comparaison entre tragédie et sources épiques, le sacrifice apparaît clairement comme une construction culturelle plutôt qu'une simple pratique sociale. En s'interrogeant sur les types du sacrifice, sur sa fonction dans le drame, sur les aspects variés de la poétique et sur le rôle du recours de la tragédie à la violence dans la culture grecque en général, Henrichs aboutit à un scénario fictif du passé où le sacrifice de transgression est la norme. Contrairement à la comédie en effet, la tragédie se focalise sur le moment de la tuerie, tout en brouillant les limites entre le sacrifice et le meurtre.
L'ensemble de ces articles appelle à revoir à la lumière des particularités locales et des distorsions propres aux genres de nos sources les modèles canoniques qui nous servent de grille de lecture, tels le rôle social et politique des rites ou le passage obligatoire par les sources d'époque chrétienne qui condamnent les rites païens. En ce temps de remise en question des théories de l'évolution, du structuralisme et du fonctionnalisme, le rôle déterminant de nos propres intérêts idéologiques dans l'appréciation de la religion antique est démontré de maintes façons. Comme le prouvent aussi bien les études dans leur ensemble que la conclusion de Clifford Ando, le sacrifice occupe une position plus importante dans la recherche moderne que dans la pratique ancienne. Ce livre vient combler une lacune dont souffrait ce sujet tant débattu, en proposant une nouvelle méthodologie de lecture, qui peut d'ailleurs servir de base à l'interprétation d'autres processus rituels.
Ioanna Patera