Rezension über:

Amanda Power: Roger Bacon and the defence of Christendom (= Cambridge Studies in Medieval Life and Thought. Fourth Series), Cambridge: Cambridge University Press 2013, X + 305 S., ISBN 978-0-521-88522-5, GBP 60,00
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Rezension von:
Patrick Gautier Dalché
Institut de recherche et d'histoire des textes (IRHT), Paris
Redaktionelle Betreuung:
Ralf Lützelschwab
Empfohlene Zitierweise:
Patrick Gautier Dalché: Rezension von: Amanda Power: Roger Bacon and the defence of Christendom, Cambridge: Cambridge University Press 2013, in: sehepunkte 13 (2013), Nr. 7/8 [15.07.2013], URL: https://www.sehepunkte.de
/2013/07/22571.html


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Amanda Power: Roger Bacon and the defence of Christendom

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La figure de Roger Bacon a suscité des interprétations contradictoires. Les travaux anciens l'ont souvent présenté comme un savant marginal. Plus récemment, ses idées dans les divers champs de la science ont été considérées isolément, souvent à partir d'une conception anachronique du progrès scientifique, sans tenir compte de son profond engagement religieux. De leur côté, les historiens de l'ordre franciscain n'ont pu qu'être troublés par l'apparente non-conformité de Roger Bacon.

Face à ce paysage historiographique "hostile", l'ouvrage a pour ambition de situer Bacon dans son contexte intellectuel, spirituel et politique, en réduisant par là l'"originalité" qui lui a souvent été attribuée. L'introduction critique finement les interprétations qui se sont succédées depuis le XVIe siècle. L'un des points qui conditionnent une meilleure compréhension est celui de sa condamnation et de son emprisonnement rapportés par deux textes tardifs (troisième tiers du XIVe siècle): car la manière dont on a reçu leurs données lacunaires a conduit à renforcer l'idée ancienne (mais non médiévale) d'un Bacon hétérodoxe, adonné aux sciences occultes et aux textes suspects. Sur ce sujet, on partage les conclusions mesurées de l'auteur: l'histoire n'est pas sûre. A supposer qu'il ait été condamné, cela n'a rien à voir avec la condamnation de l'aristotélisme de 1277. Enfin, toutes les sources de la fin du XIIIe siècle et du début du suivant évoquent Bacon comme une autorité. Il est donc sage de ne pas accorder trop d'importance à cet épisode douteux.

La suite de l'ouvrage répond aux principes posés en introduction. Le premier chapitre ("A Life in Context") est une biographie qui se poursuit dans le second ("Traces on Parchment"), où l'auteur cherche à déterminer quel homme était Roger Bacon à partir de ses propres remarques, avant de définir le programme de réforme exprimé dans son œuvre principale, l'Opus maius. Le chapitre suivant étudie ses rapports avec l'ordre franciscain. Qu'est-ce qu'être franciscain? Comment passer de l'état de séculier à l'immersion finale de l'âme en Dieu? ("From the World to God"). Les deux derniers chapitres examinent les réponses qu'il apporte aux problèmes de la Chrétienté de son temps ("The Crisis of Christendom") et ses conceptions relatives à la mission et à la conversion des infidèles ("Beyond Christendom").

Il y a beaucoup d'aperçus nouveaux dans cet ouvrage écrit à partir d'une connaissance intime de la personnalité et de l'œuvre de Bacon. Sa biographie tient compte de la situation d'ensemble de la Chrétienté et de ses effets psychologiques. Le sentiment de vulnérabilité à la suite de l'échec de la croisade de saint Louis, de la lutte de la papauté contre l'empereur et des menaces musulmane et mongole, les attentes eschatologiques accrues par les difficultés internes à l'ordre, sont des traits partagés par ses contemporains. S'il y a une originalité de Bacon, elle ne tient ni au constat de la situation, ni à la recherche d'une sapientia perfecta, mais aux moyens de l'obtenir par une réforme de l'enseignement touchant toutes les sciences, aboutissant à une réforme morale, à la conversion des infidèles et à une lutte victorieuse contre l'Antéchrist. Son entrée dans l'ordre franciscain, souvent mal comprise, est à rapporter aux idéaux initiaux qui préconisaient une forme de vie associant la dévotion apostolique, la poursuite et l'exercice de la sapientia - ce qui impliquait l'importance du savoir dans tous ses aspects, mis au service de l'union mystique avec Dieu.

Rien ne prouve que Bacon ait été empêché d'écrire, ni qu'il ait mené une vie isolée; ses plaintes à ce sujet peuvent tenir à ses fonctions de prédication et d'enseignement au sein de l'ordre; ses relations avec de nombreux savants sont bien attestées. Il ne faut pas pour autant l'apprécier dans un contexte purement universitaire, ses buts étant avant tout mystiques. "Être franciscain" pour Bacon, c'est renoncer au monde pour s'élever vers la vie spirituelle et approcher de la perfection morale. Les sciences réformées selon son désir ne sont pas à cultiver pour elles-mêmes mais doivent servir à la contemplation et à l'union avec Dieu. La réforme de l'enseignement, l'accueil de connaissances ésotériques préconisés dans l'Opus maius et ses autres écrits servent avant tout, selon lui, à une réforme radicale de tous les Chrétiens, permettant de lutter contre l'Antéchrist dont la venue est jugée proche. L'idée que l'humanité vit ses derniers jours, si prégnante dans toute l'œuvre, est en conformité avec l'interprétation eschatologique de leur mission par les franciscains, l'effort pour la perfection intérieure et la réforme impliquant l'intérêt pour les grandes affaires du temps, notamment la nécessité de parvenir à la conversion des infidèles, préalable aux derniers jours.

C'est donc un Bacon franciscain (mais non "spirituel", comme cela a parfois été avancé) et parfaitement intégré dans les préoccupations de son temps qui est ici présenté, et cet essai qui remet en question nombre d'a priori et de conclusions de l'historiographie est à ce titre très bienvenu. On peut toutefois formuler quelques regrets. Certains développements relèvent d'une paraphrase où les complexes notions scientifiques de Bacon sont fort peu problématisées. Cela est particulièrement net dans le résumé du contenu de l'Opus maius au chapitre 2 ainsi que dans l'exposé de la "géographie" de Bacon au chapitre 5 (plusieurs études de l'auteur de ce compte rendu intéressant directement les fondements et l'influence de la "géographie" de Bacon ne sont pas connues). [1] A. Power a raison de noter en préalable de cette dernière question qu'il faut se garder de l'idéologie progressiste qui infecte encore l'appréciation de certains savants sur les rapports de l'"expérience" et du "livresque" en matière de géographie. De même, c'est à bon escient qu'elle souligne que, pour Bacon comme pour ses contemporains, les phénomènes terrestres sont soumis aux influences célestes. Mais on note des imprécisions dommageables quant à l'appréciation des nouveautés apportées par Bacon en philosophia naturalis. Par exemple, l'usage des coordonnées, fondement de l'originalité de la carte de l'œcumène jointe à l'Opus maius, n'est pas analysé, ni explicitée la "certification" souhaitée pour rendre cette carte plus efficace en vue de la connaissance du vaste monde et de la mission.

Enfin, il y a deux absences gênantes. On s'attendrait que le tableau du contexte théologique de l'entreprise baconienne soit largement examiné. A part une insistance disproportionnée sur l'œuvre d'Augustin et quelques noms tel ceux de Robert Grosseteste et d'Adam March, qu'en est-il de l'influence des victorins, et en particulier de Hugues de Saint-Victor qui n'est mentionné qu'en passant? A lire Bacon, on se rend pourtant compte que ses écrits sont très profondément marqués par la pensée du "nouvel Augustin", dans l'attention à l'exégèse littérale et aux realia ainsi qu'aux techniques d'union contemplative et de restauration de l'âme pécheresse par l'union avec Dieu. On souhaite que l'auteur comble ce manque grâce à sa connaissance intime des textes. De même, en matière de représentation de l'espace, les idées de Bacon ne sont pas restées isolées, comme le montrent les réalisations cartographiques franciscaines ou influencées par les franciscains, au XIVe siècle (Fidence de Padoue, Marino Sanudo, Paulin de Venise...).

Ce livre clair, bien argumenté, détruit de façon convaincante nombre d'idées reçues sur une œuvre moins originale dans les buts assignés que dans l'insistance sur la réforme générale jugée nécessaire pour les atteindre. Il donne une image nouvelle de Bacon et de son œuvre dans ce qu'elle a d'essentiel: une réponse originale aux angoisses du monde chrétien, profondément marquée par la mystique franciscaine.


Note:

[1] La Géographie de Ptolémée en Occident (IVe-XVIe siècle) (Terrarum Orbis, 9), Turnhout 2009, 135-141; "Cartes, réflexion stratégique et projets de croisade à la fin du XIIIe et au debut du XIVe siecle: une initiative franciscaine?", in: Francia 37 (2010) 77-95; "Vers une 'perfecta locorum doctrina': lieu et espace géographique selon Roger Bacon", in: T. Suarez-Nani / M. Rohde (Hgg.): Représentations et conceptions de l'espace dans la culture médiévale / Repräsentationsformen und Konzeptionen des Raums in der Kultur des Mittelalters (Scrinium Friburgense, 30), Berlin-Boston 2011, 9-43.

Patrick Gautier Dalché