Jérôme Baschet / Pierre-Olivier Dittmar: Les images dans l'Occident médiéval. Introduction de Jean-Claude Schmitt (= L'Atelier du Médiéviste; 14), Turnhout: Brepols 2015, 507 S., 63 Farb-, 17 s/w-Abb., ISBN 978-2-503-55158-6, EUR 65,00
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Le quatorzième volume de la désormais célèbre collection de "l'Atelier du médiéviste", appréciée par les chercheurs débutants ou confirmés, peut surprendre par sa forme, à mi-chemin entre le manuel et le volume de "mélanges" en hommage à Jean-Claude Schmitt, à qui il est dédié. Vingt ans après la parution des actes du colloque d'Erice, véritable manifeste pour une nouvelle approche historienne et anthropologique de l'image [1], ce livre montre les acquis d'une école qui s'est épanouie à l'EHESS dans le cadre du GAHOM (Groupe d'Anthropologie Historique de l'Occident Médiéval), dans la rencontre entre historiens de l'art et spécialistes des textes. On n'y retrouve pas moins de trente-neuf auteurs, élèves ou compagnons de route de longue date de Jean-Claude Schmitt, sous la direction de Jérôme Baschet, l'autre grand artisan de ce renouvellement du regard, et de Pierre-Olivier Dittmar, jeune chercheur ayant récemment intégré l'équipe.
L'inévitable morcellement entraîné par le caractère très collectif de ce travail est compensé par une structure commune à tous les chapitres. Après une présentation générale du thème abordé vient l'analyse d'une œuvre particulière, et cette collection d'études de cas constitue peut-être la plus grande richesse du volume, soutenue par des reproductions de bonne qualité. Au fil des exemples, parfois célèbres, souvent originaux, on découvre toutes les potentialités des images médiévales, abordées chaque fois avec un regard différent mais la même rigueur méthodologique. La taille réduite de chaque chapitre impose malheureusement aux auteurs des démonstrations rapides, qui laissent parfois le lecteur sur sa faim. Chaque contribution comporte également une courte bibliographie, précédée souvent du commentaire rapide d'une étude majeure sur le sujet ("un modèle du genre"). Avec ces approches historiographiques, complétées par un index bibliographique et une bibliographie générale en début d'ouvrage, le lecteur dispose des références essentielles, associant les grands classiques de l'histoire de l'art aux études les plus récentes. On appréciera notamment la présentation nourrie des bases de données accessibles en ligne, outils désormais essentiels pour la constitution des corpus iconographiques.
Pourtant, l'ouvrage ne se veut en aucun cas un manuel d'histoire de l'art, et ses auteurs se montrent souvent critiques vis-à-vis des méthodes traditionnelles de la discipline. On n'y trouvera par exemple aucune présentation générale de la trame chronologique ou des grandes écoles stylistiques. Plus étonnant, le processus de la commande et la personnalité des faiseurs d'images, qu'on les nomme "artisans" ou "artistes", restent le plus souvent dans l'ombre, évoqués seulement à l'occasion de la présentation des œuvres. Il faut attendre l'avant-dernier chapitre ("Images et culture urbaine", par Pierre Monnet) pour voir apparaître clairement le parcours de l'un d'entre eux, Jerg Ratgeb, dans le contexte urbain de l'Allemagne du début du XVIe siècle.
L'organisation générale du volume suit les grandes thématiques développées par les membres du GAHOM depuis une trentaine d'années, et brillamment résumées dans l'introduction de Jean-Claude Schmitt. Les œuvres picturales y sont replacées dans les conceptions de l'image propres à l'Occident médiéval, et dans le cadre d'une "pensée figurative" qui va bien au-delà de l'illustration des textes. Elles doivent également être abordées dans leur matérialité, comme des objets inscrits dans un lieu déterminé, avec des fonctions et des usages bien particuliers.
La première partie, consacrée aux "images-objets en situation", débute ainsi par une typologie des supports dont on comprend vite qu'elle n'est qu'une introduction et ne prétend pas à l'exhaustivité. Si Claudia Rabel propose une succincte mais très claire présentation de l'enluminure, le chapitre sur les peintures murales (Cécile Voyer et Simona Boscani Leoni) n'aborde pas le développement de la fresque dans l'Italie de la fin du Moyen Âge, et celui sur la sculpture monumentale (Maria Cristina C.L. Pereira), centré sur les cloîtres, évacue dans un encart les grands portails romans. De même, les retables ne font l'objet d'aucune contribution spécifique. On insiste en revanche, avec justesse, sur des supports parfois marginalisés dans les études classiques et pourtant omniprésents dans la production médiévale : le vitrail (Colette Deremble), les trésors d'église (Philippe Cordez), la tapisserie (Laura Weigert). Ce qui intéresse les auteurs, c'est surtout l'insertion de ces images dans un espace donné, le manuscrit ou le monument, et leurs usages liturgiques et dévotionnels (Pascal Collomb, Pascale Rihouet, Jean-Marie Sansterre, Thomas Golsenne). On retiendra aussi la remarquable contribution de Jean Wirth à la question délicate de la datation des œuvres, avec une très convaincante remise en cause de celle de la Vierge en ivoire du musée de Villeneuve-lez-Avignon.
La seconde partie ("Pensée figurative et analyse des images") invite à pénétrer dans la complexité des œuvres médiévales. Davantage qu'une nouvelle méthode d'analyse, elle propose une série de questionnements sur les différentes caractéristiques de l'image et sur les moyens de les appréhender. On retiendra le brillant résumé de Jean-Claude Bonne sur l'ornementation, le plaidoyer de Michel Pastoureau pour une meilleure prise en compte de la couleur, ou encore les conseils de Jérôme Baschet pour la constitution d'un corpus et son regard autocritique sur celui qu'il avait rassemblé pour son grand livre sur le sein d'Abraham. [2]
La troisième partie enfin ("Les images dans le monde social") ouvre sur les potentialités de la prise en compte des images dans les études historiques. Dans les domaines de la pensée (Philippe Faure, Babette Hellemans, Brigitte Buettner), de la prédication (Marie Anne Polo de Beaulieu, Jacques Berlioz), de la culture matérielle (Gil Bartholeyns), des études de genre (Chloé Maillet) ou de l'idéologie politique (Marion Pouspin), elles constituent des sources de premier ordre, à condition de savoir respecter leur spécificité.
L'étrange et poétique épilogue, évoquant les visiteurs d'un calvaire breton par la plume de l'écrivain Christine Lapostolle achève de donner le ton d'un ouvrage foisonnant, parfois déstabilisant, souvent stimulant, le témoignage d'une approche originale et interdisciplinaire des images médiévales. En dépit d'un contenu inégal, le lecteur y trouvera d'utiles leçons méthodologiques, des repères historiographiques, et la confirmation que l'analyse minutieuse de ces objets constitue une voie d'accès essentielle à la compréhension des sociétés médiévales.
Notes:
[1] L'Image. Fonctions et usages des images dans l'Occident médiéval (Cahiers du Léopard d'Or; 5), Paris 1995.
[2] Jérôme Baschet: Le sein du père. Abraham et la paternité dans l'Occident médiéval, Paris 2000).
Paul Payan