Rezension über:

Glenn D. Burger / Holly A. Crocker (eds.): Medieval Affect, Feeling, and Emotion (= Cambridge Studies in Medieval Literature; 107), Cambridge: Cambridge University Press 2019, x, 249 S., ISBN 978-1-1084-7196-1, GBP 75,00
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Rezension von:
Ninon Dubourg
Université de Liège
Redaktionelle Betreuung:
Ralf Lützelschwab
Empfohlene Zitierweise:
Ninon Dubourg: Rezension von: Glenn D. Burger / Holly A. Crocker (eds.): Medieval Affect, Feeling, and Emotion, Cambridge: Cambridge University Press 2019, in: sehepunkte 22 (2022), Nr. 9 [15.09.2022], URL: https://www.sehepunkte.de
/2022/09/34503.html


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Glenn D. Burger / Holly A. Crocker (eds.): Medieval Affect, Feeling, and Emotion

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En limitant la portée de l'ouvrage, tant dans l'espace (Angleterre) et dans le temps (fin de l'époque médiévale) que dans la documentation principale utilisée (la littérature), ce volume sur l'histoire de l'affect, du sentiment et de l'émotion médiévale fait le choix (gagnant) de développer une méthodologie novatrice et rigoureuse tout en la mettant au défi de l'expérimentation.

L'ouvrage est composé d'une introduction théorique écrite par les éditeurs, G. D. Burger et H. A. Crocker, de huit contributions et d'une postface. Il réunit des auteurs uniquement anglo-saxons, autant britanniques (4) que américains (4) ainsi qu'une australienne, suivant d'ailleurs la répartition des éditeurs, chacun venant d'un côté de l'Océan Atlantique. De ce fait, le volume est marqué par l'historiographie anglo-saxonne sur le sujet de l'affect, du sentiment et de l'émotion. Le choix des mots (par ailleurs parfois difficilement traductibles en français afin d'obtenir les mêmes nuances), révèle le parti pris des éditeurs : le sentiment pouvant intégrer l'affect et les émotions, l'association des trois permet de montrer comment le corps est central dans ce processus. Il s'agit là en effet de l'apport théorique de l'ouvrage qui propose une histoire de l'émotion comprise comme un « artefact « social, c'est-à-dire une cognition incarnée changeante, intégrant les individus au social. Le sentiment y est pensé comme passant d'abord par le corps, avant d'être exprimé, et donc socialisé.

Cet apparatus conceptuel développé dans l'introduction de l'ouvrage permet aux auteurs de franchir les frontières disciplinaires entre les études contemporaines de l'affect, l'histoire de l'émotion, et l'histoire médiévale. G. D. Burger et H. A. Crocker comparent les forces et les faiblesses de chacune pour n'en garder que le meilleur. Ils proposent alors un medieval turn dans la théorie contemporaine de l'affect comme il y a eu un récent affective turn dans les sciences sociales. Ils s'accordent sur le fait que l'affect et l'émotion ne représentent pas respectivement un état présocial et social, mais que chacun s'associe à des degrés différents d'intensité, plus ou moins formés et structurés. Dans ce cadre, l'incarnation de l'affect permettrait d'étudier les textes médiévaux sous un nouveau jour, centré sur une agentivité incarnée qui met en contact l'individu et le social. Dans les mots des éditeurs, l'ouvrage s'intéresse à « l'intersection des "sensations corporelles" de l'affect avec les "états conscients" de l'émotion » (9).

Les auteurs s'appuient sur la littérature médiévale produite dans un contexte non religieux qui leur fournit une matière première riche et pertinente pour traiter de la coexistence de l'émotion et de l'affect dans les représentations du sentiment à la fin de l'époque médiévale. Ils reconnaissent que ces documents puissent induire un biais narratif influençant l'intensité des sentiments dans un but créatif, tout en arguant qu'il faut considérer les éléments non intentionnels comme révélateurs sociaux. Ils invoquent les auteurs les plus connus comme Geoffrey Chaucer, Thomas Malory, Thomas Occleve, John Lydgate ou encore Gavin Douglas et étudient ainsi des textes, des poèmes, des fabliaux, des traités, des mystères, des lettres, des images religieuses et des objets dévotionnels afin d'appuyer leurs propos. C'est ainsi que S. Trigg analyse la phrase « pleurer comme un enfant battu », montrant que ce type de comparaisons métaphoriques peut nous éclairer sur les émotions dans certains contextes narratifs et sociaux particuliers (chapitre 1). Ce sont ces « pratiques émotionnelles », induites par un contexte social historique précis maitrisé par ses acteurs que les essais approchent ; en témoigne celui de A. Bale qui analyse trois lettres issues de correspondances privées (postface).

Afin d'atteindre leurs objectifs, les contributions du volume se concentrent sur la réception de la littérature anglaise de la fin de l'époque médiévale à un niveau régional et local. On accède ainsi aux sentiments censés être inculqués aux lecteurs par certains récits, dont la poésie étudiée par A. Bernau, qui permet de transformer les affects individuels en sentiments ou en émotions socialement reconnaissables (chapitre 8). Les essais tentent ainsi de séculariser l'histoire des émotions en sortant de l'étude de la piété affective pour embrasser d'autres horizons, tels que la construction de puissantes positions identitaires séculières, notamment juives contre chrétiennes comme étudiées par P. DeMarco (chapitre 2), ou idolâtres païennes contre chrétiennes dont l'analyse est faite par S. Salih (chapitre 6).

Le volume mobilise la notion d'habitus, mettant en avant autant l'action individuelle que l'ensemble des pratiques culturelles sociales et linguistiques préexistantes dans l'individu qui s'exercent lors d'une performance émotionnelle comprise par toute la société. Selon G. D. Burger et H. A. Crocker, c'est ainsi à la croisée de l'affect et de l'émotion, changeants en fonction des contextes matériels et des représentations littéraires, que la subjectivité médiévale se manifeste. Ces perceptions individuelles et ces expériences collectives sont par exemple rendues visibles par une technique narrative donnant l'impression d'être témoin des événements, ce qui induit une forte implication émotionnelle de l'audience et crée un sens de la communauté, selon l'analyse d'E. Lipton (chapitre 7).

C'est donc en étudiant les conventions sociales qu'on peut espérer écrire l'histoire des sentiments, des affects aux émotions - les trois interagissant de façon complexe, en fonction des scripts émotionnels ou des communautés d'émotion par exemple. La contribution de B. L. Bryant sur l'économie manoriale comme productrice d'affectivité (surtout négative) qui compare les sources de la pratique que sont les livres de comptes préfectoraux à des récits littéraires, témoigne bien de l'intérêt de la démarche (chapitre 5). Celle-ci s'avère particulièrement efficace sur les questions de genre. L'affect joue notamment un rôle dans la création d'une masculinité sociale londonienne selon H. A. Crocker (chapitre 3), et, couplé avec les émotions, dans la construction de la bonne conduite féminine particulièrement au sein du mariage étudiée par G. D. Burger (chapitre 4).

Pour conclure, la lecture de ce volume, très riche, sera sans doute difficile pour un lectorat non averti (comme en témoigne par exemple la non traduction des passages en ancien anglais). Cela limite de fait la portée de l'ouvrage à un public d'habitués de la littérature anglaise, alors même qu'une dimension globalisante est à souhaiter. Le volume permet pourtant aux lecteurs aguerris de saisir tous les enjeux de l'étude du sentiment et aux spécialistes de la question d'accéder à des études de cas novatrices et abouties. En effet, la mise en place du cadre théorique réflexif sur le champ de recherche dès l'introduction permet aux auteurs de montrer ce qu'une analyse de l'affect et de l'émotion peut apporter, et aux lecteurs de bénéficier d'une large variété d'exemples. Ainsi, en mettant l'accent sur les textes médiévaux plutôt que sur l'étude d'une émotion particulière, chaque contribution offre une image plus nuancée des sentiments médiévaux.

Ninon Dubourg