Karel Janáček: Studien zu Sextus Empiricus, Diogenes Laertius und zur pyrrhonischen Skepsis. Hrsg. v. Jan Janda / Filip Karfík (= Beiträge zur Altertumskunde; Bd. 249), Berlin: De Gruyter 2008, XXI + 386 S., ISBN 978-3-11-019505-7, EUR 98,00
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L'étude de la tradition sceptique néo-pyrrhonienne, de Sextus Empiricus et de Diogène Laërce a constamment occupé la longue activité de chercheur de K. Janáček (1906-1996). A part les deux monographies consacrées à Sextus Empiricus (Prolegomena to Sextus Empiricus, Olomouc 1948, et Sextus Empiricus' Sceptical Methods, Praha 1972), et à côté des précieux index de l'œuvre de Sextus (editio tertia completior, Firenze 2000) et des Vies de Diogène Laërce (Firenze 1992), Janáček a écrit sur ce sujet et ces auteurs plusieurs dizaines d'articles, notes et comptes rendus, qui s'échelonnent entre 1932 et 2006.
Une bibliographie complète des écrits de Janáček est publiée dans les Acta Universitatis Carolinae 1996 - Philologica 1, Graecolatina Pragensia 15, 2-20, ainsi que dans la revue Eirene 32 (1996) 12-23.
J. Janda et F. Karfík ont eu l'excellente idée de recueillir dans un volume les cinquante études (rangées en ordre chronologique et numérotées progressivement; voir l'Inhaltsverzeichnis, VII-X) que Janáček avait consacré à Sextus Empiricus, Diogène Laërce et au scepticisme néo-pyrrhonien. Il s'agit souvent de textes parus dans des revues ou des volumes difficiles d'accès. De plus, chose opportune, Karfík a traduit en allemand les quelques articles qui avaient été écrits en tchèque (1, 2, 3, 5, 6, 8, 10, 15 et 38) et en russe (21).
Dans la préface au volume (XI-XIX), Janda et Karfík brossent un profil de la vie et de l'activité scientifique de Janáček, et ils résument les principaux résultats de ses recherches en en soulignant l'apport aux études sur le scepticisme antique. L'Anmerkung der Herausgeber qui suit (XX-XXI) explique les critères utilisés dans la réédition de ces textes.
La plupart des articles réunis dans ce volume concernent Sextus et Diogène; il y en a cependant d'autres sur certains auteurs qui ont transmis des renseignements importants sur la tradition sceptique: Hippolyte de Rome (11), Philon (34, 37) et Clément d'Alexandrie (36), Photius (31). L'étude de ces derniers auteurs (ainsi que de Diogène Laërce) a toujours en arrière-plan l'œuvre de Sextus.
L'intérêt de Janáček porte essentiellement sur les aspects linguistiques et stylistiques des textes, et cela parce que "much has been done in the field of the philosophical interpretation of Greek Scepticism in general and of Sextus Empiricus in particular, but [...] Sextus' work still wants in philological analysis" (Sextus Empiricus' Sceptical Methods, 8). Cette analyse philologique se concentre sur la comparaison des passages parallèles entre les écrits de Sextus et ceux des autres auteurs de la tradition sceptique. Les résultats sont souvent surprenants et définitifs. Je ne rappelerai que la découverte du fait que les livres VII à XI de l'Adversus Mathematicos (= M) de Sextus ne sont pas la suite des livres I à VI, mais forment le 'torso' d'une œuvre plus vaste (dont on a perdu la première partie) et qui se proposait une réécriture élargie et méditée des Pyrrhoneioi Hypotyposeis (= PH). Les livres conservés correspondent à PH II-III; les livres perdus réélaboraient le contenu de PH I (voir 17, "Die Hauptschrift des Sextus Empiricus als Torso erhalten?" et 46 "M I-VI als Schlüssel zu Sextos Empeirikos' Schriften"). Cette découverte ("Zweifelsohne Janáčeks wichtigste Entdeckung auf dem Feld der Sextusforschung" XV) contribue à définir, entre autres, la chronologie des œuvres de Sextus: PH I-III, M VII-XI, M I-VI.
On peut essayer de résumer en peu de mots le fil rouge de l'ensemble des recherches de Janáček Diogène et Sextus ont eu accès à une présentation de la doctrine pyrrhonienne aujourd'hui perdue. Cette présentation avait été utilisée au moins quatre fois. Une première fois, Sextus s'en sert dans les PH en restant assez proche de son contenu, mais avec des retouches de style; une deuxième fois, Sextus y a eu recours pour la composition de M VII-XI, d'une manière plus libre et en en modifiant le style; et une troisième fois, enfin, pour la rédaction M I-VI, en s'éloignant encore plus du modèle et de son style. Diogène Laërce avait lui aussi utilisé la même source en IX 70-108, mais, à la différence de Sextus, il était resté très proche du contenu et du style; peut-être s'était-il limité à recopier fidèlement le texte de son modèle. "Dieses ist [...] bei dem jüngeren Diogenes urtümlicher erhalten als bei dem älteren Sextus, den Diogenes zwar bewundert, aber nicht kennt, mindestens nicht benutzt" (115).
Janáček élargit ces conclusions aux autres auteurs de la tradition sceptique (Hippolyte, Clément, Philon) qui montrent des points de contact avec les œuvres de Sextus, en excluant toujours la possibilité qu'ils aient copié les livres de Sextus, et en privilégiant l'hypothèse d'une même source commune qu'ils auraient transmise d'une façon plus fidèle que Sextus (voir, p. ex., l'article 11: "Hippolytus and Sextus Empiricus").
Les résultats de Janáček n'ont pas fait l'unanimité. En particulier, ils n'ont pas convaincu J. Barnes, "Diogenes Laertius IX 61-116: The Philosophy of Pyrrhonism", in ANRW II.36 (1992) 4268-4272 (voir cependant les remarques de Janáček [42] 334-337).
Les recherches de Janáček sur Sextus Empiricus et sur le scepticisme ancien ont été présentées à plusieurs reprises et sous différents points de vue par J. Barnes, R. Bett et J. Janda (pour les références bibliographiques, voir XVII).
Je voudrais attirer l'attention sur les quatre articles consacrés à Diogène Laërce: "Zur Würdigung des D. L." (23), "Zum Stil des D. L." (35), "Aus der Werkstatt des D. L." (41) et "Das neue Bild des D. L." (42).
Les articles 35 et 41 contiennent une analyse détaillée de certaines particularités du style de Diogène dont j'ai déjà eu l'occasion de souligner l'importance pour l'édition des Vies (T. Dorandi, "Remarques sur le Neapolitanus III B 29 (B) et sur la composition des Vies de Diogène Laërce", Revue d'Histoire des Textes 32, 2002, 18-19). Dans l'article 23, Janáček se propose de démontrer que Diogène n'est pas un simple copiste de ses sources et qu'il reste, en dépit de ses défauts, un auteur de premier plan pour l'histoire de la philosophie antique: "Es ist gut, ihm menschlich näher zu kommen" (162). Le dernier article, un compte rendu des Actes du Colloque "Diogene Laerzio storico del pensiero antico" (Napoli 1986), présente d'une manière claire et efficace l'état de la recherche sur les Vies et en discute avec compétence et bon sens les problèmes les plus épineux.
Deux index (un index des noms anciens et un des auteurs récents, 381-386) complètent le volume. Un index locorum aurait incontestablement apporté une aide supplémentaire au lecteur.
On ne peut enfin que remercier Janda et Karfík d'avoir mis à notre disposition ce recueil fort utile, qui rend honneur à l'activité scientifique du grand chercheur tchèque, et qui relancera, j'en suis certain, le débat sur Sextus Empiricus, Diogène Laërce et la tradition néo-pyrrhonienne.
Tiziano Dorandi