Fiona J. Griffiths / Julie Hotchin (eds.): Partners in Spirit. Women, Men, and Religious Life in Germany, 1100-1500 (= Medieval Women: Texts and Contexts; Vol. 24), Turnhout: Brepols 2014, 427 S., 17 s/w-Abb., ISBN 978-2-503-54096-2, EUR 100,00
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Avec sa collection Medieval Women: Texts and Contexts, l'éditeur Brepols propose avec bonheur de nombreux ouvrages consacrés aux femmes médiévales et en particulier aux femmes religieuses et le nouveau volume Partners in Spirit y trouve parfaitement sa place, tout en adoptant un angle d'analyse intéressant et atypique puisque ce recueil d'articles, dirigé par deux spécialistes de l'histoire des femmes et du genre au Moyen Âge, cherche avant tout à explorer les preuves de contact des femmes et des hommes dans un cadre religieux, comme l'annonce le titre.
À contre-courant des récents travaux dédiés essentiellement aux saintes médiévales, les études traitent ici de cas de femmes ordinaires, tout en renonçant à aborder le dossier des scandales sexuels et celui de la clôture, deux thèmes déjà largement fouillés et aux antipodes de l'objectif de ce volume. En effet, celui-ci souhaite démontrer l'existence de relations harmonieuses entre les deux sexes dans un contexte religieux et, à ce titre, il s'inscrit dans la lignée des travaux menés par John Coakley - qui se voit significativement accorder le privilège de rédiger la postface de l'ouvrage (401-412).
Une autre originalité réside dans le fait que les analyses se concentrent sur différentes régions de l'Empire, espace encore peu exploré par la recherche anglo-saxonne pourtant à l'avant-garde des gender studies en médiévistique. C'est l'occasion pour le lecteur non seulement de découvrir l'ampleur du phénomène des monastères doubles dans l'Empire, mais également d'apprécier, grâce aux riches bibliographies qui clôturent chacune des contributions, la fécondité des travaux déj à menés en Allemagne, entre autres. Dernière particularité : les études scrutent ici des documents témoignant de la vie quotidienne des communautés de façon à échapper quelque peu aux habituelles conventions des régimes de genre caractérisant les sources normatives, sources déjà largement sondées par ailleurs et malheureusement pas toujours bien comprises comme le démontrent certains auteurs, en particulier Shelley Amiste Wolbrink dans le cas de l'ordre prémontré (171-212).
Avec un tel parti pris, les treize contributions de l'ouvrage, accompagnées d'un index (413-427) et de nombreuses illustrations répertoriées pages IX-X, sont tout à fait novatrices et révoquent en doute de nombreux acquis de l'historiographie. Il était, en effet, convenu qu'au Moyen Âge central la réforme de l'Église avait conduit à une redéfinition de l'identité de l'homme ecclésiastique avec comme principale conséquence son éloignement des femmes, fussent-elles religieuses et demandeuses d'un soutien spirituel. Balayant une large période allant du XIIe siècle au début de la réforme grégorienne au XVIe siècle, les articles, répartis en deux thèmes principaux, établissement, au contraire, que les femmes pieuses ont non seulement bénéficié d'une présence constante d'ecclésiastiques à leurs côtés, mais ont également noué des relations complexes avec ces derniers.
La première thématique s'intéresse à l'aspect institutionnel et à l'organisation pratique des communautés de dévotes à travers les exemples des monastères doubles (Elsanne Gilomen-Schenkel 47-74; Susan Marti 75-107), des monastères de femmes (Eva Schlotheuber 109-143; Fiona J. Griffiths 145-169; Shelley AmisteWolbrink; Sigrid Hirbodian 303-337) et des Frauenstifte (Sabine Klapp 367-400). Ces cas particuliers ainsi que la présentation synthétique proposée dans l'introduction mettent en avant le fait que ces communautés de femmes, au sein desquelles des ecclésiastiques sont présents, loin d'être subordonnées à une autorité masculine, étaient impliquées dans des relations sans cesse négociées et redéfinies avec les hommes d'Église. Le deuxième thème, abordant plutôt la dimension spirituelle de ces relations à travers la notion de la cura monialium (Jennifer Kolpacoff Deane 237-270; Fiona J. Griffiths; Sigrid Hirbodian) et de la formation religieuse dispensée aux femmes (Antony Ray 213-236; Wybren Scheepsma 271-302) ou par elles (Sara S. Poor 339-365), confirme ces résultats et démontre clairement que la question du genre est davantage une préoccupation d'historien qu'une inquiétude propre aux dévotes médiévales.
Toutefois, malgré la richesse indéniable de cet ouvrage inventif, on pourra y regretter l'absence de contributions traitant des affections spirituelles, qui liaient parfois ces femmes religieuses à leurs proches ecclésiastiques. Cela aurait été pourtant l'occasion de montrer que le partenariat spirituel n'était pas seulement une pratique communautaire, comme le démontrent la plupart des auteurs de l'ouvrage - seuls trois textes se polarisent sur des figures individuelles (Fiona J. Griffiths, Antony Ray, Wybren Scheepsma) -, mais relevait également de cheminements individuels unissant des amis dans le Christ. À ce propos, une incursion sur les amis de Dieu, nombreux en Allemagne à la fin du Moyen Âge, aurait été bienvenue. Mais cet oubli s'explique sans doute par les choix des corpus documentaires dont sont malencontreusement exclus les sources hagiographiques et les textes de main de femmes. Omission plus curieuse encore : celle de l'ordre cistercien qui, bien que mentionné ça et là, aurait mérité une analyse complète, eu égard non seulement à son rôle auprès des femmes dévotes aux XIIe et XIIIe siècles notamment en Allemagne et dans le diocèse de Liège, mais aussi en raison de l'important renouvellement historiographique en cours concernant Cîteaux et les femmes - d'ailleurs résumé rapidement dans l'introduction.
Néanmoins, malgré ces quelques réserves, les spécialistes tout comme le grand public se réjouiront de trouver dans ce volume des réponses audacieuses à la question, désormais classique, des relations nouées entre l'Église et les femmes au Moyen Âge. On espère que ce profitable renouvellement historiographique connaîtra la large diffusion qui lui est déjà promise grâce au choix de l'anglais comme langue de publication.
Anne-Laure Méril-Bellini delle Stelle