Frédéric Tixier: La monstrance eucharistique. Genèse, typologie et fonctions d'un objet d'orfèvrerie XIIIe - XVIe siècle (= Collection Art et Société), Rennes: Presses Universitaires de Rennes 2014, 367 S., ISBN 978-2-7535-2720-1, EUR 22,00
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Cette étude est le fruit du travail accompli par Frédéric Tixier dans le cadre de sa thèse de doctorat en Histoire de l'art soutenue en juin 2010 à l'université de Nanterre et qui a obtenu la mention très honorable avec les félicitations du jury à l'unanimité.
En mettant en évidence l'importance de l'ostensoir ou monstrance eucharistique dans l'Occident chrétien entre le milieu du XIIIe et le XVIe siècle, Tixier comble non seulement un vide historiographique mais, de plus, il fournit un modèle méthodologique en croisant apports de l'histoire des arts et données historiques. En effet, il n'existait aucune synthèse d'histoire de l'art embrassant à la fois une période aussi large mais aussi un espace d'analyse aussi vaste sur cet objet religieux pourtant majeur de l'histoire catholique. Pendant en quelque sorte du travail mené par Miri Rubin dans son Corpus Christi: The Eucharist in Late Medieval Culture (1991), l'ouvrage explore l'émergence, les différents usages et la place de la monstrance eucharistique dans la Chrétienté occidentale depuis sa création au milieu du XIIIe siècle jusqu'aux lendemains de la Contre-Réforme tridentine, à partir d'un riche corpus réunissant aussi bien des monstrances que des sources iconographiques témoignant de ses différentes utilisations. Sur ce point, le lecteur ne peut qu'être ravi de la richesse des reproductions proposées, avec pas moins de 168 illustrations dont un cahier central en couleurs (I-XII). Divisé en trois parties, l'ouvrage se clôt sur une importante bibliographie (299-352) et un index fort utile (353-358).
Dans une première partie (23-98), Tixier rappelle d'une part dans quel contexte émerge la Fête-Dieu, festivité en l'honneur du Saint-Sacrement (79-94), créée au milieu du XIIIe siècle par la sœur de léproserie Julienne de Cornillon (1192-1258) et d'autre part, il met en évidence les pratiques cultuelles antérieures (57-77), notamment la dévotion aux reliques, ainsi que l'importance de la vue dans la religiosité (35-38) en particulier féminine (39-40), deux facteurs clés expliquant non seulement la naissance d'une vénération spécifique à l'eucharistie mais aussi la création d'un objet religieux original.
La partie suivante (99-194), centrée justement sur l'objet lui-même, en dresse une typologie détaillée: si les modèles en tourelle ont connu un franc succès dans une grande partie de l'Occident chrétien, certaines régions ont développé des architectures propres telles que le modèle en custode de la péninsule ibérique ou la monstrance-reliquaire du sud de la France (101-155). L'auteur s'attache également à décrire soigneusement les différentes formes de décoration pouvant orner les monstrances, qu'il s'agisse de scènes de l'Ancien Testament, ou plus fréquemment, de références à Jésus-Christ, mais aussi d'inscriptions, le tout réalisé dans une profusion de matériaux précieux (157-188).
La dernière partie (195-287) est consacrée aux multiples fonctions de la monstrance eucharistique. Manipulée pendant la Fête-Dieu lors de l'exposition sur l'autel, de la bénédiction et de la procession (197-205), elle l'est également à maintes autres occasions si bien que le concile de Cologne de 1452 a tenté vainement d'en limiter les expositions. Malgré tout, elle fut encore tour à tour employée comme objet protecteur, ex-voto et enseigne du pape lors de ses entrées solennelles (206-220). Rarement remisée dans les petits mobiliers prévus à cet effet (220-225), son usage était devenu si routinier qu'il suscita les critiques acerbes des réformateurs tels que Luther et Calvin (237-242). En réaction, l'Église de la Contre-Réforme, réaffirmant le dogme de la Transsubstantiation, mit à l'honneur le culte rendu au Saint-Sacrement en multipliant non seulement la production de monstrances et ses représentations iconographiques, mais aussi les pratiques dévotionnelles liées à l'eucharistie (242-269), tout en autorisant son usage régulier chez les laïcs soit sur des autels privés, soit dans les seings notariaux (271-281).
Au final, Tixier livre au lecteur un matériau très riche et particulièrement pédagogique, rendant accessible aux profanes les éléments les plus complexes de l'analyse des nombreuses monstrances eucharistiques. S'il faut exprimer des réserves, elle porterait sur la question de l'importance de la vue dans la spiritualité médiévale, thématique certes déjà abordée par Jean-Claude Schmitt avec Le corps des images. Essais sur la culture visuelle au Moyen Âge (2002), mais qui aurait peut-être méritée davantage d'explications pour mieux saisir l'enjeu performatif du "faire voir" de la monstrance eucharistique. Il aurait été également bienvenu de creuser plus avant le dossier de la piété féminine qui justement se donne à voir en réalisant parfois des performances presque théâtrales pour exprimer sa foi - comme le fit la mystique Élisabeth de Spalbeek (1246-1304) quasi contemporaine de Julienne de Cornillon - et qui se nourrit également d'images, en particulier pour atteindre l'extase comme l'a démontré Jeffrey Hamburger dans The Visual and the Visionary. Art and Female Spirituality in Late Medieval Germany (1998). Toutefois, l'objectif de l'auteur étant de réaliser une synthèse, il ne s'agissait pas de s'attarder sur ces cas particuliers Au contraire, Tixier réussit à montrer avec brio de quelle manière la monstrance eucharistique s'est inscrite dans la durée et dans l'universalité de l'Église catholique.
Anne-Laure Méril-Bellini delle Stelle