Jay M. Hammond / Wayne Hellmann / Jared Goff (eds.): A Companion to Bonaventure (= Brill's Companions to the Christian Tradition; Vol. 48), Leiden / Boston: Brill 2014, X + 588 S., ISBN 978-90-04-26072-6, EUR 196,00
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Maître à l'université de Paris, maître général de l'ordre franciscain, puis cardinal-évêque d'Albano, Giovanni da Fidanza, alias Bonaventure de Bagnoregio († 1274), a laissé une production tout à la fois d'exégète, de théologien, de prédicateur, de maître spirituel, d'hagiographe et de législateur, avant d'être déclaré en 1482 saint et en 1487 docteur de l'Église. Malgré cette diversité, son œuvre se caractérise par une forte unité, grâce à un sens exceptionnel de la synthèse. Mais cette unité, comment la définir ? Dans le passé, quelques publications ont abordé cette question redoutable, comme l'Introduction à l'étude de saint Bonaventure de Jacques Guy Bougerol (Paris, 1961) et la centaine de contributions réunies par le même dans S. Bonaventura, 1274-1974 (Grottaferrata, 1973-1974, 5 vol.). Depuis, des travaux de grande valeur sont parus sur le Docteur séraphique, mais il manquait une nouvelle introduction générale, prenant en compte les acquis des quarante dernières années. C'est cette lacune que comble le "compagnon à Saint-Bonaventure" dirigé par Jay H. Hammond, J. A. Wayne Hellmann et Jared Goff.
Après une brève introduction (1-5), l'ouvrage se compose de trois parties : I. Fondations, II. Théologie, III. Spiritualité et pratique. Dans la première, Marianne Schlosser introduit à Bonaventure en présentant dans l'ordre chronologique les principaux événements de sa vie, de sa carrière, de sa production littéraire et de sa réception (9-59). Pietro Maranesi résume l'histoire des éditions imprimées d'opera omnia de Bonaventure, de l'édition vaticane de 1588, préparée par la publication d'opuscules spirituels dès 1484, jusqu'aux 11 volumes, parus de 1882 à 1902, de l'édition de Quaracchi. Son chapitre se conclut par d'utiles tableaux des œuvres authentiques éditées depuis les opera omnia ou à éditer/rééditer critiquement, et aussi des œuvres publiées dans les opera omnia mais dont l'attribution est aujourd'hui mise en doute ou rejetée (61-80). Les deux articles suivants portent sur la méthode intellectuelle de Bonaventure, en théologie et en philosophie. Gregory LaNave examine ce que le docteur dit de la théologie, sa nature, son sujet, sa double démarche scientifique et sapientielle, le théologien qui la pratique, les autorités qui la fondent, ses divers modes d'argumentation (81-120). Christopher M. Cullen examine la place qu'occupe une raison philosophique dans l'œuvre avant tout théologique de Bonaventure, et conclut à une autonomie de méthode dans une hiérarchie des savoirs dominée par la théologie (121-163). De Jacques Guy Bougerol est reproduite la traduction anglaise du chapitre "Bonaventure exégète" de son Introduction à l'étude de saint Bonaventure parue en 1961 (167-187).
Dans la seconde partie, Zachary Hayes explore la doctrine trinitaire de Bonaventure, exposant non seulement les positions particulières du docteur franciscain, mais encore la place structurante que le mystère des trois personnes occupe dans toute sa pensée (189-245). Partant d'un bref passage du Breviloquium, Joshua Benson montre que l'Incarnation du Verbe est littéralement au "centre" de la pensée de Bonaventure : elle est le medium qui unifie le créé et l'incréé, et restaure l'humanité selon une contemplation bien franciscaine du Crucifié (247-287). David Keck brosse un tableau de l'angélologie bonaventurienne, passant en revue ses diverses positions à leur sujet (289-332). Partant du commentaire sur les Sentences, J.A. Wayne Hellmann examine la question de l'institution des sacrements, insérée comme chez Hugues de Saint-Victor dans l'histoire du salut : si tous les sacrements tirent leur efficacité salvifique du sacrifice de la Croix, leur institution historique s'étend sur des temps divers, de la création, comme le mariage, aux temps apostoliques, comme l'extrême onction (333-157).
Dans la dernière partie, Ilia Delio entrelace plusieurs thèmes déjà discutés pour placer au centre de l'œuvre de Bonaventure une spiritualité tournée, à la suite de François d'Assise, vers ce totum integrale qu'est le Christ crucifié (361-402). Timothy J. Johnson étudie la prédication bonaventurienne dans son cadre historique et littéraire, donnant une dense synthèse sur chacune des collections de sermons ou collations de Bonaventure (403-434). Le même se concentre ensuite sur la Legenda minor de saint François, pour montrer notamment comment cette légende de chœur présente le saint fondateur comme un "miracle universel", accessible à chacun, en tous lieux, par la contemplation (435-451). En complément, Jay H. Hammond explore la Legenda major, composée pour des lectures publiques, par exemple au réfectoire, à partir des vies de Thomas de Celano et Julien de Spire, corrigées pour tenir compte des critiques adressées à l'ordre et pour faire de François, selon un chemin savamment structuré, un modèle de sainteté à la fois admirable et imitable par les frères (453-507). Kevin L. Hughes interroge la fidélité spirituelle de Bonaventure à François sur la question de la mendicité : loin de l'assouplir, il fonde cette dernière sur une vision théologique de l'homme comme deux fois mendiant vis-à-vis de Dieu, par sa nature et du fait du péché (509-541). Enfin, Dominic V. Monti se penche sur le généralat de Bonaventure : ce gouvernement de dix-sept ans n'est pas un tournant dans l'histoire de l'ordre - moins que celui d'Haymon de Faversham - mais apparaît plutôt comme une remarquable synthèse des tendances précédentes (543-577).
Dans l'ensemble, l'ouvrage tient largement ses promesses et donne au lecteur une information à jour et synthétique sur les grands domaines que couvre Bonaventure. Sa qualité maîtresse est la pédagogie : le livre s'adresse d'abord à des étudiants qui ont besoin qu'on leur explique le contexte institutionnel et intellectuel dans lequel le docteur a enseigné, pensé, composé. Avec parfois cet inconvénient que dans quelques chapitres l'originalité de Bonaventure ne se détache pas assez sur ce qui était ordinaire à son époque : on aurait aimé que Bonaventure soit davantage mis en contraste avec les maîtres de son temps, et pas seulement Thomas d'Aquin. La bibliographie donnée en bas de page est sélective, suivant ce même parti pédagogique. On relèvera cependant l'absence de Luc Mathieu: La Trinité créatrice d'après saint Bonaventure (Paris, 1992), ouvrage majeur sur la théologie trinitaire du docteur franciscain. Somme toute, l'ouvrage est une réussite : de chapitre en chapitre, les conclusions complémentaires mais convergentes aident peu à peu le lecteur à saisir ce qui fait l'unité de l'œuvre bonaventurienne : une immense capacité de synthèse, comme chez Albert le Grand et Thomas d'Aquin, et un rare talent pour assembler en une sagesse unique, réactualisant la tradition victorine du siècle précédent ; une méthode scolastique, fondée sur le modèle aristotélicien du discours scientifique ; une aptitude à percevoir des convenances, renforcée par la théologie symbolique du pseudo-Denys ; et une expérience spirituelle, marquée par l'exemple de François d'Assise, de contemplation et d'imitation du Crucifié.
Dominique Poirel