Martin Browne / Colmán N. Ó Clabaigh (eds.): Soldiers of Christ. The Knights Templar and the Knights Hospitaller in Medieval Ireland, Dublin: Four Courts Press 2016, XXII + 249 S., ISBN 978-1-84682-572-9, EUR 45,00
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Helen J. Nicholson (ed.): The Proceedings against the Templars in the British Isles, Aldershot: Ashgate 2011
Thomas Krämer: Dämonen, Prälaten und gottlose Menschen. Konflikte und ihre Beilegung im Umfeld der geistlichen Ritterorden, Münster / Hamburg / Berlin / London: LIT 2015
Sam Zeno Conedera, SJ: Ecclesiastical Knights. The Military Orders in Castile, 1150-1330, New York: Fordham University Press 2015
Dans l'historiographie foisonnante sur les ordres militaires, l'Irlande figure au nombre des périphéries de l'Occident chrétien qui avaient été jusque là oubliées. Il existait certes quelques travaux érudits anciens, des sources avaient été éditées et Helen Nicholson avait étendu à cet espace ses recherches sur les activités et l'économie des ordres militaires dans les Iles britanniques. Mais, du point de vue de l'histoire nationale irlandaise, les frères du Temple et de l'Hôpital restèrent trop longtemps identifiés à l'envahisseur anglais pour être dignes d'intérêt. Ajoutons que la mauvaise conservation des traces matérielles comme des sources écrites laissées par ces institutions, imputable aux conflits religieux et à la sécularisation intervenue au XVIe siècle, ne facilitait pas la tâche des chercheurs. La douzaine d'études rassemblées ici livre par conséquent un précieux état des connaissances, à la fois historiques et archéologiques, des origines des deux ordres en terres gaéliques jusqu'à la première modernité.
Les contributions respectives de G. O'Malley (23-46), B. Scott (47-60) et D. M. Downey (61-80) permettent d'embrasser l'évolution politique et institutionnelle de l'Hôpital, du XIVe siècle jusqu'en 1625. La fin du Moyen Âge fut marquée par une autonomie croissante du prieuré d'Irlande, tant vis-à-vis de la langue d'Angleterre que du couvent central à Rhodes. Les commanderies étaient déjà en plein déclin lorsque survint la suppression de l'ordre en 1540. Après une courte renaissance sous Marie Tudor (1553-1558), c'est hors du pays que fut recréé le titre de prieur d'Irlande en 1576, au bénéfice de frères qui, désormais, furent rarement d'origine gaélique.
L'approche archéologique est représentée par trois articles: T. O'Keeffe et P. Grogan tentent un bilan de l'architecture des deux ordres à l'échelle de l'île (81-102); E. Cotter se penche sur les commanderies de Mourneabbey et Hospital dont il ne reste guère que les chapelles (103-123); K. O'Conor et P. Naessans proposent une monographie du site de Temple House, du château templier à sa transformation en manoir aristocratique au XVIIe siècle (124-150). Les données qui ressortent des divers sites évoqués - organisation des bâtiments autour d'une ou deux cours, aspects plus militaires que monastiques - sont conformes aux schémas attestés un peu partout en Europe: les auteurs esquissent ainsi quelques comparaisons avec l'Angleterre qui auraient pu être généralisées, par exemple à l'espace français pour lequel les travaux sont désormais assez nombreux. Les chapelles évoquées comme prétenduement à deux niveaux (123) se réfèrent sans doute plus précisément à la présence d'une tribune dans la première travée, un aménagement fréquemment remarqué dans les chapelles de l'Hôpital à partir du XIVe siècle et souvent lié à une camera du commandeur.
Les études de cas se heurtent cependant aux limites de la documentation: il ne reste guère qu'une halle à deux étages à Temple House, tandis que l'échafaudage d'hypothèses élaboré par les auteurs pallie difficilement les lacunes des archives sur l'installation des Templiers dans le Connacht (126-133). L'assimilation de l'enclos fortifié de Kilmainham au quadriburgium de Terre sainte peut se discuter (88); mais on s'étonne surtout du recours au concept de frontière - essentiellement développé à partir d'une référence à Ronnie Ellenblum, devenu pour l'occasion« Ellenbaum » (82 et 102) - qui semble ici plutôt plaqué et donc mal relié au reste du propos.
La culture visuelle des Hospitaliers du prieuré d'Irlande (P. Caffrey, 151-166) est abordée à partir d'un matériau hétéroclite où l'on trouve un fragment de chancel de la fin du XIIIe siècle puis les portraits du prieur Thomas Docwra († 1527) gravé en 1602 et du chevalier Andrew Wyse († 1631). Dans ces conditions, il paraît difficile de donner corps à ce concept de visual culture des Hospitaliers, sans risquer de verser dans la pétition de principe, par exemple lorsqu'il s'agit de conclure à l' « autoconscience de la masculinité » dont les portraits seraient porteurs (166)!
Les derniers articles du recueil sont plutôt consacrés aux enjeux économiques et juridictionnels de la présence des ordres en Irlande. M. Murphy montre la gestion rationnelle et l'orientation commerciale des treize domaines du Temple dont les inventaires furent dressés en février 1308, à la suite de l'arrestation des frères (167-183). À propos de l'implantation de ces derniers dans les comtés de Waterford et Wexford, E. Coleman revient entre autres sur les liens de l'ordre avec la monarchie anglaise (184-194). L'auteur discute l'idée selon laquelle la conquête anglaise aurait été assimilée à une« quasi-croisade », à laquelle les Templiers auraient donc pu, à ce titre, participer (185). Il s'agit, selon nous, d'un faux débat inspiré par cette tendance de l'historiographie « généraliste » à considérer comme croisade toute entreprise mue par la volonté de défendre la foi. Il ne suffit pas, pour en faire une croisade, qu'une expédition se pare d'une aura de sacralité car tel était, en définitive, le cas de beaucoup d'entreprises guerrières au Moyen Âge. Généraliser l'idée de croisade dans l'espace et dans le temps comme un certain courant historiographique le préconise risque d'induire une mauvaise compréhension de ce que fut réellement ce phénomène d'un point de vue politique, institutionnel et religieux.
Les deux dernières contributions reviennent sur l'Hôpital. P. Virtuani montre la difficile insertion, au cours du XIIIe siècle, de la commanderie de Kilmanhaim, aux prises à la fois avec les habitants de Dublin contestant l'érection de moulins sur la rivière Liffey, et avec l'archevêque au sujet du droit de visite et de l'église de Stachfythenan (195-205). L'un des articles les plus intéressants s'attache au MS 405 du Corpus Christi College, lequel regroupe des bulles pontificales relatives à l'Hôpital, les légendes de l'ordre, ainsi que des textes liturgiques et apotropaïques (C. Ó Clabaigh, 206-217). Les langues et le contenu hagiographique de ce corpus de textes s'échelonnant du XIIe au début du XIVe siècle montrent que la communauté hospitalière de Kilbarry (Co.Waterford) évoluait plutôt dans un univers culturel anglo-normand.
L'ensemble du volume n'échappe pas à quelques redondances, notamment sur les origines de l'implantation des deux ordres et sur les liens entretenus avec la monarchie anglaise. Tout cela est pourtant démontré dès l'excellent rapport introductif proposé par H. Nicholson - The Templars and the Hospitallers in Ireland, c. 1172-1348 (1-22) - qui rappelle notamment comment les frères furent engagés au service de l'administration anglaise. Il n'était donc guère utile d'y revenir à plusieurs reprises, d'autant plus que, faute de sources probantes, il n'est pas rare de voir les auteurs laisser une large place à la conjecture -« possible », « plausible », « perhaps » sont ainsi des expressions qui reviennent souvent. Cependant, malgré les réserves formulées sur ces quelques points de détail, l'ouvrage met en lumière l'originalité de l'implantation des Templiers et des Hospitaliers dans ces marges britanniques: l'emprise culturelle et ethnique anglaise, l'autonomie du prieuré d'Irlande, l'ancrage dans l'Europe catholique. Soutenu par une édition et une iconographie de qualité, l'ouvrage inspirera sans doute bien des travaux sur cet espace gaélique, si loin de l'Orient latin mais où, pourtant, les ordres militaires de Terre sainte trouvèrent une autre terre d'élection.
Damien Carraz