Pietro Delcorno (a cura di): Politiche di misericordia tra teoria e prassi. Confraternite, ospedali e Monti di Pietà (XIII-XVI secolo), Bologna: il Mulino 2018, 384 S., 11 Farb-, 2 s/w-Abb., ISBN 978-88-15-27347-5, EUR 30,00
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Pietro Delcorno: In the Mirror of the Prodigal Son. The Pastoral Uses of a Biblical Narrative (c. 1200-1550), Leiden / Boston: Brill 2018
Pietro Delcorno / Eleonora Lombardo / Lorenza Tromboni (a cura di): I sermoni quaresimali: digiuno del corpo, banchetto dell'anima. Lenten sermons: Fast of the body, banquet of the soul, Firenze: Edizioni Nerbini 2017
Pietro Delcorno: Lazzaro e il ricco epulone. Metamorfosi di una parabola fra Quattro e Cinquecento, Bologna: il Mulino 2014
La force normative de l'Ecriture sainte au Moyen Âge se lit dans l'attention alors prêtée aux œuvres de miséricorde. Les sept œuvres corporelles forment une liste stabilisée au milieu du XIIe siècle : nourrir, abreuver, vêtir, accueillir, soulager, visiter, d'après Mt 25, et ensevelir les morts, d'après Tb 1, 20. Un septénaire d'œuvres spirituelles (l'instruction, le conseil, la correction, le réconfort, le pardon, la prière, l'acceptation consentante des affronts), y a été presque aussitôt ajouté. Sa supériorité fut soulignée à partir du XIIIe siècle, conformément à une représentation sociale hiérarchique dans laquelle les clercs, spécialistes de ces œuvres spirituelles, étaient au-dessus des laïcs.
Ces conceptions ont durablement orienté la quête individuelle du salut dans la société médiévale. Pietro Delcorno, cependant, a choisi de partir d'un point d'observation différent qui fait tout l'intérêt de cet ouvrage publié sous sa direction. Dans l'univers des villes qui s'impose et se complexifie entre la fin du Moyen Âge et le début des Temps modernes, les formes de l'exercice public de la miséricorde, tout en gardant les références que l'on vient de rappeler, traduisent un dynamisme particulier qui est ici mis en évidence. Il relève du champ du politique autant que de la pratique religieuse. Il est révélé par le langage des textes et des images, par les points de vue théoriques, souvent franciscains, et par les initiatives concrètes des laïcs. La miséricorde s'y trouve déclinée comme une vertu politique, au service d'un projet qui s'attache avant tout à façonner des formes de vie commune. L'idéal de la miséricorde s'appuie toujours sur les enseignements évangéliques. Cependant, la référence à la charité peut être instrumentalisée pour dissimuler ou justifier des démarches de domination, de discipline ou d'exclusion, qui relèvent de l'exercice du pouvoir.
Les quinze contributions réunies dans cet ouvrage s'organisent avec cohérence, comme l'explicite l'introduction, dont on reprendra ici l'essentiel. Elles ont mûri à la faveur de deux rencontres organisées en 2016, ce qui coïncidait à la fois avec l'année jubilaire, placée par le pape sous le signe de la miséricorde, et avec l'urgence, pour la société européenne, de se saisir de la question lancinante de l'accueil de l'étranger - qui est l'une des sept œuvres de miséricorde corporelle.
Dans un premier temps, l'éclairage porte sur le discours des exégètes, indispensable fond de décor du sujet. Emmanuel Bain parcourt les compilations majeures élaborées entre le XIIe et le XIVe siècle et y ajoute plusieurs sommes théologiques. Il en conclut qu'à défaut de « doctrine sociale », il y a bien chez les clercs savants une politique de la miséricorde. Ils posent aussi les fondements d'une réflexion politique sur la vertu de miséricorde. Son exercice suppose une évaluation par la raison, appelée à déterminer le montant des dons et à discerner les bénéficiaires prioritaires de l'aumône. Sur cette ligne générale, interfère la variété des points de vue particuliers : pour Pierre de Jean Olivi, dont Paolo Vian scrute le commentaire du chapitre 25 de l'évangile de Matthieu, les premiers bénéficiaires des œuvres de miséricorde doivent être les frères mineurs eux-mêmes, en tant qu'hommes « évangéliques ». Cependant, la supériorité des clercs s'affirme désormais dans leur rôle « spirituel » de confesseurs. Dans ce registre, abordé par Luca Parisoli, le pardon déclaré au pénitent est assorti d'un apport distinct en faveur de la société : l'obligation impérative de garder le secret de la confession amenuise les risques de la décomposition sociale produite par la délation.
Le fonctionnement de plusieurs institutions laïques et confraternelles fait ensuite l'objet de trois contributions, respectivement axées sur Florence, l'Angleterre et le Piémont. Federico Botana confronte le message des fresques de l'Allégorie de la Miséricorde et des Histoires de Tobie, peintes vers le mileu du XIVe siècle, avec les pratiques dévotionnelles et charitables de la Confrérie de la Miséricorde, commanditaire de ces peintures. Dans le cas des guildes anglaises, Gervase Rosser s'attache surtout à éclairer l'éthique de la charité comme fondement des relations sociales. Lorena Barale explore à son tour le langage de la charité, à propos des confréries du Saint-Esprit. Dans ces associations plus difficiles à saisir, elle parvient à discerner l'attachement à la vie commune que traduisent le partage de la nourriture et les gestes de solidarité.
Les études de cas se concentrent ensuite sur le XVe siècle. La réforme hospitalière suscite désormais des créations nouvelles et des débats importants. Francesco Bianchi enquête à Venise, où les gens du patriciat s'investissent dans le « gouvernement de la pauvreté » (163). Sans renoncer aux légitimations proprement religieuses, ils introduisent davantage de rationalité dans leurs critères, fondements d'une pratique discriminante de l'aumône. Sur un fond semblable de « reconfiguration du concept de miséricorde » (173), la variété des situations locales ressort par contraste de l'étude comparée menée par Thomas Frank sur Pavie et Lodi d'une part, sur Strasbourg d'autre part. Le cas très particulier de Bernardin de Sienne, s'occupant de l'hôpital de la Scala pendant la peste de 1400, alors qu'il est encore simple laïc, rend aussi perceptible les évolutions en cours en matière de réforme hospitalière, à condition de faire dialoguer discours hagiographique et langage des fresques, ce que fait habilement Pietro Delcorno.
L'innovation des Monts de Piété retient aussi l'attention, à juste titre. L'analyse des images est encore une fois fructueuse. L'étude menée par Maria Giuseppina Muzzarelli restitue ainsi la perspective d'une sédimentation des concepts de piété et miséricorde dans les images qui accompagnent la promotion des Monts de Piété : sous le manteau de la Vierge de Miséricorde, par exemple, l'humanité qui trouve protection est désormais constituée des promoteurs et des usagers de ces institutions. Dans le domaine de la production écrite, Roberto Ferrari commence à exploiter les ressources du Defensorium montis pietatis de Bernardino de Busti (Milan, 1497). Antonio Ciceri propose un essai inattendu et éclairant sur la mémoire historique de l'ordre des mineurs relative aux fondations de Monts de piété, dont Lucas Wadding a gardé la trace dans ses Annales.
Enfin, les trois derniers chapitres prolongent l'enquête au XVIe siècle. Michele Camaioni fait ressortir chez les premiers Capucins les renouvellements des concepts, des attitudes et des réseaux, tant l'évangélisme et l'attention aux plus démunis les orientent vers une action sociale où ils rejoignent les préoccupations des gouvernements urbains et d'une bonne part de l'aristocratie italienne. La recommandation renforcée des œuvres spirituelles, mais aussi les controverses suscitées par la notion d'assistance publique, sont examinées par Lorenzo Coccoli. Enfin, l'ample réflexion de Stefano Zamagni a des allures de conclusion, mettant en évidence le passage d'une pensée orientée vers la quête du bien commun à l'exaltation du profit individuel.
C'est alors, dans le basculement vers la modernité, que s'accomplit réellement la rupture entre miséricorde et discours économique. Par sa démarche même, ce livre riche d'aperçus nouveaux aide efficacement à saisir les cheminements complexes qui y ont conduit.
Nicole Bériou